DU BREVET AU BAC Préparation au brevet et au bac de français, philosophie et HLP
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Prépabac, examen2017 Administrateur
Age: 59 Inscrit le: 07 Déc 2009 Messages: 6069 Localisation: versailles
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Sujet: Adaptation cinématographique des liaisons dangereuses Mer Jan 12, 2011 5:47 pm |
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Les réécritures, Laclos, Frears, les liaisons dangereuses : Adaptation cinématographique du roman
La séance du mois (avril) : les Réécritures (Laclos/Frears)
Transposant avec une relative fidélité et une intelligence certaine le roman de Choderlos de Laclos (1782), le film de Stephen Frears, Les Liaisons dangereuses (Dangerous Liaisons, 1988) est considéré comme l'une des meilleurs adaptations cinématographiques d'un classique de la littérature, et est à ce titre souvent étudié en classe. On renverra par exemple à cette didactisation proposée par le site académique de Versailles, et à cette analyse de séquence par Teledoc. Toutes les deux insistent sur le passage entre texte littéraire (littérarité redoublée par la dimension épistolaire) et images animées.
Notre séance, qui s'inscrit dans le cadre de l'objet d'étude "Les Réécritures" (Première), ajoute un troisième terme au processus : le scénario du film, signé par Christopher Hampton, est en effet l'adaptation d'une transposition théâtrale du roman de Laclos par le même Christopher Hampton.
On a donc cherché à déterminer les indices de théâtralité dans le roman de Laclos, et à voir comment ceux-ci ont permis et enrichi sa transposition cinématographique.
Posté dans La séance du mois par comtessa le 28.04.08 à 18:29
http://www.zerodeconduite.net/blog/index.php?itemid=3496
Français, Première L
Laclos, Frears
Les Liaisons dangereuses
La Séance du mois
Avril 2006
Les Réécritures
Le film de Stephen Frears (Dangerous Liaisons, 1988) reprend assez fidèlement le roman de Choderlos
de Laclos (Les Liaisons dangereuses, 1782). Il est considéré comme l’un des exemples canoniques
de l’adaptation réussie d’un livre au cinéma et est à ce titre souvent étudié en classe.
Il est cependant interessant de remarquer que le film de Frears est en fait l’adaptation cinématographique
(par son auteur) d’une pièce de théâtre du dramaturge Christopher Hampton, transposition
dramatique du roman épistolaire de Laclos.
L’adaptation au cinéma repose au préalable sur une certaine théâtralité du texte, qui a permis sa
transposition pour la scène.
C’est par ce biais nouveau que nous aborderons le livre et le film, dans le cadre d’un travail sur les
“Réécritures” : sous quelles formes se manifeste la théâtralité du roman, qui a permis son adaptation
à l’écran ?
En préambule, on pourra faire remarquer qu’à la différence du roman classique, le roman épistolaire
met en oeuvre une polyphonie. Laclos orchestre ainsi des voix multiples aisément identifiables
à leur style, et fait vivre de véritables personnages au sens théâtral du ter m e .
La juxtaposition de la voix naïve de Cécile ou stupide de sa mère et du machiavélisme de la Marquise,
le contraste entre le lyrisme de Tourvel face au cynisme de Valmont, sont autant de moyens
de faire rebondir l’attention du lecteur et la tension de l’action.
On objectera que le principe du roman par lettres, basé sur l’éloignement des protagonistes qui
provoque la correspondance, ainsi que le foisonnement des intrigues secondaires, contreviennent
directement aux règles d’unités (temps, lieu, action) du théâtre. C’est justement tout l’intérêt du travail
de Christopher Hampton en tant que dramaturge puis de scénariste d’avoir résolu cette contradiction
et révélé la dimension théâtrale du roman, que l’on pourra étudier sous trois angles :
- les procédés comiques
- la dimension tragique
- la symbolique théâtrale
I - l'aspect comique
On peut isoler dans le roman plusieurs procédés qui évoquent le genre comique.
- Maîtres et valets : le couple formé par Valmont et Azolan rappelle avec certaines nuances celui formé par Sganarelle
et Don Juan. L’entreprise de séduction que mène Valmont est constamment secondée par son fidèle serviteur, qui apparaît
ici comme le double burlesque du vicomte.
- Les quiproquo : Dans le roman, le narrateur met en scène la naïveté de certains personnages à travers les quiproquo. Le
premier concerne bien évidemment Cécile (Lettre 1) qui confond un simple cordonnier avec un homme du monde, celui
qui s’apprête à devenir son mari. Mais, ne peut-on pas qualifier de quiproquo, l’aveuglement de Mme de Volanges à
l’égard de Mme de Merteuil, ou celui de la Présidente envers Valmont?
- Les ruses de l’hypocrisie : les “bons tours” que jouent la Marquise et le Vicomte à Prévan et ses acolytes, visent non seulement
à assurer leur “bon plaisir” mais aussi à châtier les présomptueux. L’hypocrisie des deux roués et surtout celle de
Merteuil rappelle le jeu d’un Tartuffe, qui masque le libertinage face à tous ses interlocuteurs.
- L’ironie dramatique : la structure du roman épistolaire met le lecteur dans la position du spectateur de théâtre, omniscient,
qui en sait toujours plus que chacun des personnages. Cela concoure souvent à un effet comique. Ainsi l’attitude
de Valmont dans la lettre C apparaît franchement comique quand Tourvel le fuit : “ Mon amie, je suis joué, trahi, perdu;
je suis au désespoir : madame de Tourvel est partie. Elle est partie, et je ne l’ai pas su”.
Comment le film de Frears adapte-t-il la théâtralité diffuse du roman?
- Le film reprend le couple du maître et de son valet formé par Valmont et Azolan, en reprenant l’épisode des lettres XXI
et XXII : il s’agit de la “bonne action” de Valmont. A la différence du roman le personnage d’Azolan est développé, car
il donne la réplique à Valmont. Au lieu d’être relatée, la scène se déroule au présent sous les yeux d’un spectateur, complice
de Valmont et d’Azolan, tandis que le domestique espion de Mme de Tourvel est ridiculisé. Par ailleurs, cette scène
réécrit la scène du pauvre dans Don Juan, à la différence seule que le “Va, je te le donne pour l’amour de l’humanité”
a cédé la place au “J’ai trouvé juste de payer de payer à ces pauvres gens le plaisir qu’ils venaient de me faire.” et surtout
reprend les traits picturaux des tableaux de Greuze.
On soulignera à ce titre que dans le Valmont de Milos Forman, le réalisateur dote Merteuil d’une suivante complice
(comme Merteuil l’apprend à Valmont dans la lettre LXXXI), qui organise une rencontre comique entre Danceny et Cécile,
ce qui n’est pas le cas dans le film de Frears.
- Les quiproquo demeurent mais le premier concernant Cécile a disparu dans l’économie cinématographique. On peut
penser que la naïveté de la jeune fille est suffisamment signifiée par l’image; en présence de sa mère, de la Marquise et
de Valmont, elle se tient maladroitement, les bras le long du corps, les mains croisées et tordues, et ne sait pas comment
réagir aux regards de Valmont qui lorgne sur sa poitrine naissante, ce dès les premières minutes du film. L’aveuglement de
Mme de Volanges est lui aussi mis en scène à deux reprises, qui évoquent les lettres LXIII (dans laquelle Merteuil raconte
au Vicomte comment elle a dévoilé la correspondance entre Danceny et Cécile à Mme de Volanges) et XCVIII (dans
laquelle Mme de Volanges demande l’aide de la Marquise pour venir à bout de la “mélancolie” de Cécile qui vient d’être
déflorée par Valmont).
- Les récits concernant Prévan et les Inséparables ont disparu. Ces intrigues secondaires avaient certes le mérite de mettre
en avant les coulisses du libertinage, et surtout pour Prévan, d’en faire le double “proleptique” du Vicomte. Néanmoins,
on peut apercevoir le supposé Belleroche au détour d’un angle.
- La théâtralité comique vient aussi du jeu des acteurs. Malkovitch, très cabot, s’en donne à coeur joie dans le rôle du
libertin athée qui observe la Présidente à la messe, ou qui jauge les femmes comme on regarderait un cheval. Quant à
Glenn Close, dans un jeu plus subtil, elle dose et mesure ses regards et ses paroles.
II - l'aspect tragique
Ces aspects comiques s’insèrent néanmoins dans une trame beaucoup plus sombre, et une logique implacable qui peut
évoquer le mécanisme de la tragédie.
- La vengeance et la cruauté : La motivation centrale de l’oeuvre de Laclos est le désir de vengeance de Merteuil à l’encontre
de Gercourt, c’est en effet ce qui la pousse à corrompre Cécile par tous les moyens (Valmont, Danceny puis de
nouveau Valmont), et à faire acte de cruauté. Par ailleurs, c’est aussi pour se venger de Valmont qui la délaisse, que la
Marquise le pousse à quitter la Présidente. Cette vengeance “tous azimuts”, ne souffre aucun délai ni aucun répit. Le plan
dessiné par la Marquise dès la lettre II court jusqu’à la fin du roman.
- L’unité d’action et de lieu ? Dans la tragédie classique, la règle des unités de temps, de lieu et d’action règne. On ne
peut pas dire que cela soit le cas pour une action qui s’étire du 3 août jusqu’au 14 janvier, qui se scinde entre Paris et le
Château de Mme Rosemonde, et qui intègre des actions secondaires, comme la séduction de la Présidente, l’aventure
avec Prévan, le récit des trois “Inséparables”, la séduction de Danceny par Merteuil. Néanmoins, on peut dire que le château
de Mme Rosemonde réunit régulièrement l’ensemble des protagonistes, à l’exception de la Marquise de Merteuil,
qui a concouru à les réunir : c’est là que Valmont défore Cécile, c’est là aussi qu’il séduit Mme de Tourvel.
- L’ironie tragique : elle consiste en un retournement complet. On est frappé par ce dont on est persuadé d’être le plus à
l’abri. Cette ironie frappe Valmont, le libertin... amoureux, et Merteuil, démasquée et trahie... par ce qu’elle redoutait le
plus, ses lettres. Le lecteur est au courant dès la lettre X du “mal” dont est atteint Valmont, et de nombreuses lettres souli-
gnent le refus de la Marquise de laisser des preuves écrites de son libertinage (dès la lettre X, jusqu’à la lettre de Danceny
qui supplie la Marquise de lui écrire, lettre CL), Tout le texte est donc parcouru par la fatalité. Comme dans la tragédie,
on peut affirmer que les deux héros sont dévorés par leur démesure, leur Ubris.
- La catharsis : La tragédie doit provoquer selon les préceptes d’Aristote la Terreur et la Pitié. Or, le dénouement, très rapide,
provoque l’effroi des personnages secondaires Mme de Volanges et Mme Rosemonde, et au-delà de l’ensemble de
la société. La mort de Mme de Tourvel, morte d’amour, fait d’elle une héroïne tragique, comme celle en dernier ressort
de Valmont, tandis que la Marquise apparaît châtiée : physiquement elle est défigurée, socialement, elle est déchue. Le
dénouement de Laclos conserve son ambiguité, Merteuil échapperait au statut tragique des “héros noirs”, comme chez
Shakespeare, parce qu’elle conserverait la vie, et que sa nouvelle patrie d’adoption serait la Hollande. Il n’empêche que
le machiavélisme de ce personnage demeure exceptionnel, et par conséquent incroyable, comme le signale l’avertissement de l'éditeur.
Comment le film de Frears traite-t-il la dimension tragique du roman?
- La première image du film qui poursuit le générique présentant une lettre contenant le titre Dangerous Liaisons tenue
par une main de femme, montre Merteuil à son miroir, le visage non maquillé. Cette posture qui rappelle les méchantes
reines des contes de fée, entretient un rapport évident avec la lettre autobiographique LXXXI, où la Marquise se raconte
à Valmont, mais nous plonge aussi dans la dialectique de l’être et du paraître, qui construit l’architecture du roman en
alternant les lettres sincères et les lettres mensongères. Ce premier plan est tragique, car il sera repris en écho à la toute
fin du film, pour exprimer la déconfiture de la Marquise, qui a “tombé le masque”. Le léger sourire signe de la supériorité
a cédé la place à un visage grimaçant qui se démaquille
Dès le générique, le film nous présente les deux protagonistes en montage alterné. Merteuil et Valmont. Cela n’a rien
d’innocent, car non seulement les deux personnages sont mis sur le même plan, mais encore, ils apparaissent comme des
“seigneurs”, prêts à conquérir le monde, avec des armées de domestiques à leur solde. C’est d’emblée le thème de la
guerre qui est introduit dans le générique, guerre contre tous, guerre entre eux, dont les armes sont les vêtements, les
bijoux, la poudre, le masque. Quand les domestiques ceignent l’épée à la taille de Valmont, le rappel chevaleresque est
ironique, l’épée n’est plus ici le symbole d’une féodalité triomphante, souvent la référence de Merteuil et de Valmont,
mais un attribut factice qui souligne une aristocratie en fin de course, vouée au combat contre la vertu, l’attribut des
“meilleurs” n’est plus qu’un subsitut phallique. D’emblée, on peut penser que le montage alterné réunit les deux personnages
dans leur entreprise commune et rationnelle de séduire, mais ce procédé prépare aussi la rivalité entre les deux
roués, rivalité qui les ménera à leur perte. Le film met donc en image et en musique l’Ubris des personnages et la fatalité qui l'accompagne.
La lettre LXXXI, autobiographique, révélait dans le roman les motivations de Merteuil, elle est ici reprise dans le film (mn
32.35’), soulignée par une musique inquiétante qui monte en un crescendo lancinant ce qui donne le ton, d’autant que
le scénariste Hampton fait s’achever cette scène par “et tout cela je l’ai distillé en un unique et merveilleux précepte :
vaincre ou mourir. Pas d’autre choix. Si je veux un amant, je le prend, s’il veut s’en glorifier, il s’y cassera les dents : voilà
toute l’histoire.” Dans ces quelques répliques, la Marquise révèle le secret de sa destinée. Ce passage s’intègre ici au
noeud de l’intrigue : Valmont a découvert que Mme de Volanges le dessert auprès de Mme de Tourvel et vient s’en
plaindre à la Marquise, Merteuil lui suggère d’aider Danceny, ce à quoi Valmont répond que Danceny aurait plutôt besoin
d’obstacles. La même séquence nous montre Merteuil dévoilant le secret de la correspondance de Cécile et de Danceny
à Mme de Volanges en présence de Valmont qui se dissimule.
Dans cette scène d’environ 8 minutes sont réunies les lettres LXIII dans laquelle la Marquise raconte à Valmont son “chef
d’oeuvre”, LXXXI autobiographique, XLIV dans laquelle Valmont déclare à Merteuil qu’il souhaite se venger de Mme de
Volanges, et toutes les lettres où la Marquise s’adresse à Valmont dans les termes de la séduction. En effet, le but de cette
séquence est de montrer au Vicomte qu’elle est remarquable, exceptionnelle, et donc au-dessus de toutes les autres
femmes qu’il peut rencontrer. Derrière la concentration narrative, se joue la fatalité de la séduction. Fatalité qui engage
aussi ici les destins de Cécile et de la Présidente Tourvel.
- La cruauté de certaines scènes est amplifiée. Notamment celle où la Présidente rencontrait dans le roman Emilie dans
le carosse de Valmont (Lettres CXXXV, CXXXVII, et CXXXVIII) : voir en annexe les trois lettres du roman de Laclos et la
retranscription des dialogues dans le film de Frears.
Analyse
On constate d’abord que la scène d’extérieur s’est transformée en scène d’intérieur. Certes, c’est toujours la
Présidente qui surprend Valmont, mais à la différence du roman, où la rencontre était due au hasard, la
confrontation est savamment mise en scène par Valmont, qui orchestre l’humiliation de Tourvel.
Ici, le caractère trouble de Valmont est mis en relief par le metteur en scène. Cet épisode perçu de trois
manières différentes (le regard de Tourvel sur Emilie, celui méprisant d’Emilie sur Tourvel, et celui de Valmont sur
Tourvel, en observateur quasi scientifique d’une expérience) est ramassé au cours d’une seule séquence. L’absence
de la Marquise de Merteuil dans la scène alors, qu’elle en est en la spectatrice privilégiée dans le roman,
est un indice de taille.
Dans le roman, la cruauté du vicomte n’a d’autre but que de démontrer à la Marquise qu’il n’est pas amoureux,
ici, le sens de cette scène résiderait comme le dernier combat intérieur entre le libertin et l’amoureux:
cette scène s’achève par une demande de pardon réciproque où Valmont surenchérit dans la sincérité, et où
nous comprenons, nous lecteurs, qu’il s’agit d’une déclaration, qui mène à la fusion heureuse des corps. Le film
ne mentionne aucun compte-rendu de Valmont à la Marquise, comme dans le roman. Azolan lui-même paraît
déconcerté par la mise en scène de son maître, ce qui est là encore un indice, le valet de comédie met les
pieds dans la tragédie de ses maîtres.
- Par ailleurs, la scène la plus cruelle du roman, celle où Valmont rompt avec Tourvel par l’entremise de la lettre “Ce n’est
pas ma faute”, donne lieu dans le film à une séqeunce qui met les deux personnages en présence, ce qui apour effet
d’en accroître la violence, notamment quand Valmont saisit Tourvel par les cheveux. Si le roman taisait dans une subtile
ellipse la réaction de Tourvel à la réception de la lettre, le spectateur dans le film assiste à une véritable mise à mort. Le
jeu de Malkovich montre aussi combien cette rupture est difficile à réaliser, Valmont regarde rarement la Présidente et
quand il sort de chez elle, il a besoin de reprendre son souffle, comme s’il sortait d’un combat physique.
- La mort de Valmont et de la Présidente sont aussi traitées sur le registre tragique. Pendant que Valmont est blessé par
Danceny, le film montre Tourvel à l’agonie, subissant les sangsues et les saignées, l’image mêle le sang des deux amants.
Par ailleurs, le duel entre Valmont et Danceny est entrecoupé, par analepse des moments de bonheur sensuel passés
dans les bras de Tourvel. Ces “flash-back”, silencieux mettent en scène un bonheur passé et mort, qui ne peut plus être
vécu que dans un autre monde. Le film insiste sur la conduite suicidaire de Valmont, qui meurt sans véritablement se servir
de son épée. La mort de la Présidente, après le décès de Valmont montre bien comme dans le roman qu’elle avait
scellé son destin à celui du Vicomte.
Le film reprend donc en l’amplifiant la teneur tragique du roman, surtout autour du personnage de Valmont, ce dernier
est en effet déchiré entre sa réputation de libertin et sa découverte de l’amour véritable.
Mais la concentration des personnages dans des lieux, qui tient aux nécessités de l’adaptation, accroît aussi cette dimension.
Notamment lorsque Merteuil se rend chez Madame de Rosemonde pour “rassurer” Cécile sur ce que Valmont l’oblige
à faire, la Marquise peut en effet observer à loisir l’amour qui triomphe de Valmont, et changer de victime dans sa
course à la vengeance.
III - La théâtralité symbolique
Au delà de l’utilisation de procédés qui ressortissent du genre dramatique, on peut aussi rechercher la présence du
théâtre, à la fois comme lieu de l’action et comme métaphore de la société.
- Le théâtre du monde.
Depuis Bossuet et son Sermon sur la mort, c’est un topos littéraire classique : le Monde est un théâtre
où se joue la comédie sociale. Ce théâtre est constitué d’une scène où chacun se montre mais aussi de coulisses où le
monde dissimule des conduites blâmables. Ainsi la Marquise se produit-elle dans le monde, au cours de repas et de visites
mondaines, la petite maison lui permet de cacher ses aventures galantes. De la même façon, le fait que Valmont représente
aux yeux de Mme de Volanges une “liaison dangereuse”, n’empêche absolument pas cette dernière de le fréquenter.
La comédie sociale frappe donc tous les protagonistes.
- L’opéra :
C’est le lieu par excellence de l’interaction sociale et de la mise en abîme de la théâtralité. C’est dans la loge
que la Marquise comprend la “conversation à double entente” que lui adresse Prévan, c’est aux Italiens que Valmont se
rend accompagné d’Emilie, c’est encore aux Italiens qu’il fait tout pour être aperçu de Mme de Tourvel, alors qu’Emilie
est à ses côtés, c’est enfin là que Mme de Merteuil est défaite en public comme le relate la lettre CLXXIII.
Le scénario de Hampton et le film de Frears ne font pas l’économie de cette métaphore de la société,
tout d’abord parce
qu’il reprend une scène du roman, mais aussi parce qu’il en invente d’autres, tout aussi signifiantes.
- A la fin du film, la Marquise est huée par le public dès qu’elle apparaît dans sa loge, à l’instar du roman, elle subit sa disgrâce
publique, en esquissant un faux pas, mais en se reprenant bien vite. D’ailleurs le film ne ne nous montrera pas une
Marquise en fuite, et défigurée par la petite vérole, c’est dire si pour le réalisateur, comme pour le scénariste, cette ultime
scène à l’Opéra est signifiante de la chute sociale de Merteuil.
- C’est à l’Opéra que Merteuil choisit Danceny pour Cécile et le lui présente. De ses jumelles la Marquise a pu remarquer
l’extrême sensibilité du jeune homme, dont les larmes coulent sur la joue, le film suggère aussi qu’en tant que prédatrice,
elle se réserve un mets de choix. Ce qui était absent dans le roman est justifié dans le film : la musique, le divertissement
raffiné, le lieu où se retrouve cette société.
- C’est à l’Opéra que Merteuil choisit Danceny pour Cécile et le lui présente. De ses jumelles la Marquise a pu remarquer
l’extrême sensibilité du jeune homme, dont les larmes coulent sur la joue, le film suggère aussi qu’en tant que prédatrice,
elle se réserve un mets de choix. Ce qui était absent dans le roman est justifié dans le film : la musique, le divertissement
raffiné, le lieu où se retrouve cette société, tels sont les domaines de compétence de Merteuil qui évolue dans ce monde
avec aisance.
Le film ajoute une scène théâtrale chez Madame de Rosemonde, où un chanteur se produit pour la petite société qui est
invitée. Or le véritable spectacle se déroule parmi le public : Valmont est placé entre Merteuil et Tourvel et ses regards
vont de l’une à l’autre; s’il baise la main de la Marquise, les regards de la Présidente le pénètrent plus profondément. Mais
d’un autre point de vue, c’est Merteuil qui observe et se sent humiliée par cette rivale si peu digne d’elle. Cette scène est
centrale parce qu’elle réunit les vrais protagonistes du film (comme l’indique d’ailleurs l’affiche qui montre alignés à la
verticale les portraits succesifs de Merteuil, Valmont et Tourvel): de fait c’est l’amour véritable incarné par la pure Tourvel
qui fera tomber les masques, en révélant Merteuil à la jalousie et Valmont à l’amour.
Conclusion
Le film reprend la théâtralité du roman, en insistant sur les moments clefs et en condensant l’esprit et la lettre de l’écriture
de Laclos. Le soin porté à la reconstitution d’une époque va au-delà de l’intérêt purement historique. Les costumes
des personnages sont signifiants. La gaze couvrant la poitrine de Tourvel et mettant en valeur un petit crucifix doré est
un constant rappel de la dévotion de la Présidente, pour Valmont, tentateur diabolique, mais aussi pour le public, tandis
que les somptueuses tenues de Merteuil éclipsent celles des autres personnages féminins. On pourra noter que la
robe taillée dans une soie jaune lorsqu’elle arrive au château de Mme de Rosemonde, fait d’elle une élégante, une
femme à la mode “des chinoiseries”, même si le jaune est la couleur par excellence de la duplicité, et que les détails
noirs qui ressortent du tissu évoquent certainement les couleurs venimeuses d’un serpent.
Annexes :
Texte 1 : Lettre CXXXV, La Présidente de Tourvel à Mme de Rosemonde
J’essaie de vous écrire, sans savoir encore si je le pourrai. Ah! Dieu, quand je songe qu’à ma dernière Lettre c’était l’excès
de mon bonheur qui m’empêchait de la continuer! C’est celui de mon désespoir qui m’accable à présent; qui ne me
laisse de force que pour sentir mes douleurs, et m’ôte celle de les exprimer...
C’était hier; je devais pour la première fois, depuis mon retour, souper hors de chez moi. Valmont vint me voir à cinq heures;
jamais il ne m’avait paru si tendre. Il me fit connaître que mon projet de sortir le contrariait beaucoup, et vous jugez que
j’eus bientôt celui de rester chez moi. Cependant, deux heures après, et tout à coup, son air et son ton changèrent sensiblement.
Je ne sais s’il me sera échappé quelque chose qui aura pu lui déplaire; quoi qu’il en soit, peu de temps après,
il prétendit se rappeler une affaire qui l’obligeait de me quitter, et il s’en alla : ce ne fut pourtant pas sans m’avoir témoigné
des regrets très vifs, qui me parurent tendres, et qu’alors je crus sincères.
Rendue à moi-même, je jugeai plus convenable de ne pas me dispenser de mes premiers engagements, puisque j’étais
libre de les remplir. Je finis ma toilette et montai en voiture. Malheureusement mon Cocher me fit passer devant l’Opéra,
et je me trouvai dans l’embarras de la sortie; j’aperçus à quatre pas devant moi, et dans la file à côté de la mienne, la
voiture de Valmont. le coeur me battit aussitôt, mais ce n’était pas de crainte; et la seule idée qui m’occupait était le désir
que ma voiture avancât. Au lieu de cela, ce fut la sienne qui fut forcée de reculer, et qui se trouva à côté de la mienne.
Je m’avançai sur-le-champ : quel fut mon étonnement de trouver à ses côtés une fille, bien connue pour telle! Je me retirai,
comme vous pouvez penser, et c’en était déjà bien assez pour navrer mon coeur : mais ce que vous aurez peine à
croire, c’est que cette même fille apparamment instruite par une odieuse confidence, n’a pas quitté la portière de la voiture,
ni cessé de me regarder, avec des éclats de rire à faire scène.
Texte 2 : Lettre CXXXVII, Valmont à Tourvel
Cependant, qui le croirait? cet événement a pour première cause le charme tout-puissant que j’éprouve auprès de vous.
Ce fut lui qui me fit oublier trop longtemps une affaire importante, et qui ne pouvait se remettre. Je vous quittai trop tard,
et ne trouvai plus la personne que j’allai chercher. J’espérais la rejoindre à l’Opéra, et ma démarche fut pareillement
infructueuse. Emilie que j’y trouvai, que j’ai connue dans un temps où j’étais bien loin de connaître ni vous ni l’amour, Emilie
n’avait pas sa voiture, et me demanda de la remettre chez elle à quatre pas de là. Je n’y vis aucune conséquence,
et j’y consentis. mais ce fut alors que je vous rencontrai; et je sentis sur-le-champ que vous seriez portée à me juger coupable.
La crainte de vous déplaire ou de vous affliger est si puissante sur moi, qu’elle dut être, et fut en effet bientôt remarquée.
J’avous même qu’elle me fit tenter d’engager cette fille à ne pas se montrer; cette précaution de la délicatesse a tourné
contre l’amour. Accoutumée, comme toutes celles de son état, à n’être sûre d’un empire toujours usurpé que par
l’abus qu’elles se permettent de faire, Emilie se garda bien d’en laisser échapper une occasion si éclatante. Plus elle
voyait mon embarras s’accroître, plus elle affectait de se montrer; et sa folle gaieté, dont je rougis que vous ayez pu un
moment vous croire l’objet, n’avait de cause que la peine cruelle que je ressentais, qui elle-même venait encore de mon
respect et de mon amour.
Texte 3 : Lettre CXXXVIII, Valmont à Merteuil
Je persiste, ma belle amie : non, je ne suis point amoureux; et ce n’est pas ma faute, si les circonstances me forcent d’en
jouer le rôle. Consentez seulement, et revenez; vous verrez bientôt par vous-même combien je suis sincère. J’ai fait mes
preuves hier, et elles ne peuvent être détruites par ce qui se passe aujourd’hui.
J’étais donc chez la tendre Prude, et j’y étais bien sans aucune autre affaire : car la petite Volanges, malgré son état
devait passer toute la nuit au bal précoce de Madame V***. Le désoeuvrement m’avait fait désirer d’abord de prolonger
cette soirée; et j’avais même, à ce sujet, exigé un petit sacrifice; mais à peine fut-il accordé, que le plaisir que je me
promettais fut troublé pâr l’idée de cet amour que vous vous obstinez à me croire, ou au moins à me reprocher; en sorte
que je n’éprouvai plus d’autre désir que celui de pouvoir à la fois m’assurer et vous convaincre que c’était de votre part
pure calomnie.
Je pris donc un parti violent; et sous un prétexte assez léger je laissai là ma Belle, toute surprise, et sans doute encore plus
affligée. Mais moi, j’allai tranquillement joindre Emilie à l’Opéra, et elle pourrait vous rendre compte que, jusqu’à ce matin
que nous nous sommes séparés, aucun regret n’a troublé nos plaisirs.
J’avais pourtant un assez beau sujet d’inquiétude, si ma parfaite indifférence ne m’en avait sauvé : car vous saurez que
j’étais à peine a quatre maisons de l’Opéra, et ayant Emilie dans ma voiture, que celle de l’austère Dévote vint exactement
ranger la mienne, et qu’un embarras survenu nous laissa près d’un demi-quart d’heure à côté l’un de l’autre. On se
voyait comme à midi, et il n’y avait pas moyen d’échapper.
Mais ce n’est pas tout; je m’avisai de confier à Emilie que c’était la femme à la Lettre. (Vous vous rappellerez peut-être
cette folie-là, et qu’Emilie était le pupitre.) Elle qui ne l’avait pas oubliée, et qui est rieuse, n’eut de cesse qu’elle n’eût
considéré tout à son aise “cette vertu”, disait-elle, et cela, avec des éclats de rire d’un scandale à en donner de l’humeur…
Texte 4 : Le film : Valmont et Emile s’embrassant sur un canapé chez lui.
Azolan annonce à Valmont la présence de Tourvel.
Azolan : Pardon, Monsieur la Dame est ici.
Valmont : Bien donnez-moi un moment... (à Emilie) Finissez ce verre...
Emilie : Qui est-ce?
Valmont : Une personne qui pourrait se formaliser de votre présence...
Emilie : Ah bon , c’est une femme alors?
Valmont : Grand Dieu, une dame de condition!
Emilie : Ne serait-ce pas celle à qui nous écrivions?
Valmont : C’est bien elle, oui...
Emilie : Que cela m’a fait rire!
Valmont : Quel bon pupitre vous avez été!
Emilie : J’adorerais voir l’air qu’elle a.
Valmont : Mais non... En y réfléchissant je crois que ça pourrait être drôle... Dites-moi, avez-vous des projets pour la soirée?
Emilie : Des amis viennent souper...
Valmont : Et après cela?
Emilie : Rien de ferme...
Valmont : Bien!
Tourvel, empressée, et précédant Azolan, rentre dans les appartements de Valmont, elle aperçoit, stupéfaite, Valmont
payer Emile, et l’embrasser sur les joues, Emilie sort en riant.
Emilie : je viendrai...
Valmont : (à Tourvel) Cette visite surprise me ravit
Tourvel: Je connais cette femme!
Valmont : En êtes-vous sûre, ce serait bien surprenant.
Tourvel : Je l’ai remarquée, il y a peu à l’Opéra...
Valmont : C’est qu’elle est remarquable...
Tourvel : C’est une courtisane, dit-on?
Valmont: Oui, l’on pourrait l’appeler de cette façon...
Tourvel : (furieuse) Et bien pardonnez-moi de vous avoir dérangé.
Valmont : Oh, mais en aucune façon...
Séance proposée par Florence Salé, professeur de Français au Lycée Eugène Delacroix (Drancy, 93)
pour Zéro de conduite
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