DU BREVET AU BAC

Esmantium · Age: 25 Inscrit le: 01 Nov 2015 Messages: 6

Bonjour,

Je rédige actuellement ma première dissertation sur le sujet suivant :

"La poésie rend la vie sur terre plus belle, moins éphémère, moins misérable." affirme le poète Adons. Vous expliquerez et discuterez cette "mission" que le poète confie à la poésie, en vous appuyant sur les poèmes étudiés en cours et sur vos lectures personnelles.

Les poèmes étudiés en cours étant :
- "Les conquérants", José Maria de Heredia.
- "Fonction du poète", Victor Hugo.
- "Impromptu", Alfred de Musset.
- "Aube", Arthur Rimbaud.
- "L'Union libre", André Breton.
- "Les charniers", Eugène Guillevic.
- "Strophes pour se souvenir", Louis Aragon.
- "Cahier d'un retour au pays natal", Aimé Césaire.

Je vous poste ci-dessous ma dissertation, sachant qu'il manque deux paragraphes de mon troisième axe et ma conclusion, que je compte établir sur une parole de Platon.
Comme il s'agit de mon premier essai, je me demandais quel était la longueur moyenne d'une dissertation ?

Genre littéraire prédominant depuis l'Antiquité, la poésie a su traverser les siècles, les millénaires même, jusqu'à devenir un art, une discipline à part entière. Du grec poieïn, qui signifie "faire, créer", elle constitue une quête de sens qui vise -encore aujourd'hui- à nous interroger sur sa véritable utilité. Selon le poète syrien Adonis, elle relève d'une triple fonction. Alors, en quoi rend-elle la vie sur terre plus belle, moins éphémère, moins misérable et, à partir de là, peut-on en déduire que ce sont ses seules missions ? Ainsi, nous nous intéresserons d'abord à cette vision de la poésie qui, d'après Adonis, embellit l'existence, avant de nous demander s'il ne s'agit pas au contraire d'un reflet du monde néfaste et malheureux, puis d'évoquer le sentiment propre à chacun concernant ce travail sur les mots.

Dans une société remplie d'inégalités, dans laquelle l'homme court après le temps, la poésie apparaît bien souvent comme un refuge, un sanctuaire immatériel rapprochant les rêves de la réalité par une association originale des mots. Ce fut le cas pour Adonis. De son vrai nom Ali Ahmad Saïd, l'écrivain a pu sortir de son contexte familial rural et modeste grâce à la poésie. En effet, en 1947 il fait la rencontre du président syrien de l'époque, Choukri al-Kowalti. Ce dernier, impressionné par ses capacités poétiques, décide de financer ses études. Ainsi, le jeune adolescent qu'était Adonis sort de son quotidien pour aspirer à une vie plus heureuse, plus aisée aussi. Ayant très tôt développé son esprit critique, il expose dans la totalité de son recueil "La forêt de l'amour en nous" cette idée de l'instant sempiternel, comme à travers cet extrait : "Nos corps nos deux temps et le lieu / Chaque organe en nous est pays et histoire / Et chaque palpitation festival". Adonis emploie ici le langage poétique afin d'exprimer l'aspect éternel du désir, renforçant l'hypothèse qu'avec cette attirance, la dimension temporelle s'élargie ; après tout quand l'humain est pris d'affection pour quelqu'un, il perd la notion des jours, des heures ou des minutes. Mais dans son œuvre, quand elle est utilisée pour valoriser la beauté du monde, la poésie devient un enrichissement de la culture, de la nature en général : "vis lumineux crées un poème et vas : / accrois l'espace de la terre", Feuille du vent dans Mémoire du vent, dans laquelle elle augmente le savoir.
D'un point de vue plus général, notons que cette beauté se retrouve bien sûr dans les images poétiques -métaphores et allégories principalement-, mais également dans la forme du texte. C'est le cas notamment du Parnasse, ce mouvement fondé sur le principe de "l'art pour l'art" qui, par définition, privilégie le culte de la forme et du Beau. Ainsi le sonnet s'inscrit comme modèle par excellence et est repris par nombre d'auteurs. C'est ce que fera José Maria de Heredia dans la totalité de son œuvre ; Les conquérants (Les trophées) témoigne de l'association de l'éloge des conquistadores à un paysage enchanteur qui les transforme au fil des vers. Et puis, quel meilleur exemple qu'Aube d'Arthur Rimbaud pour illustrer cette matérialisation de la beauté en poésie ? Adepte du "voyant", qui amène à "un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens", il amorce alors une recréation du monde à travers l'innocence terrestre et l'allégorie de la femme -d'ailleurs souvent pris pour modèle dans la poésie. Ce lever du jour ainsi personnifié se caractérise par la sacralisation de l'aube, notamment avec l'emploi du terme "déesse" dans le poème extrait d'Illuminations.
D'autre part, n'oublions pas que la poésie tire son essence du temps. Déjà, lire ou écouter un poème, c'est s'accorder quelques instants de réflexion ou d'évasion. De plus, le lecteur peut revenir sur un vers, une strophe ou même l'intégralité du texte autant de fois qu'il le souhaite. Il devient ainsi le maître du temps. En outre, la poésie est également un moyen de redessiner les bornes chronologiques. Prenons Fonction du poète, tiré de Les Rayons et les Ombres, écrit en 1840 : Victor Hugo invoque des compléments de temps tels que "en des jours impies" (v.11) ou "quand les peuples végètent" (v.21) pour évoquer un contexte social tendu dans une époque troublée, une vision de l'Antiquité qui fait étrangement écho à la situation de la France lors de la rédaction du poème. En rapprochant deux périodes éloignées, le poète considère la vie comme une notion universelle propre à l'Humanité et non à un individu en particulier, inversant ainsi la courbe temporelle : l'on n'existe plus du berceau jusqu'au tombeau -comme Hugo le pensera lui-même en rédigeant Pauca Meae (le livre IV des Comtemplations)- mais à travers l'Histoire en général. Quelle belle leçon de modestie nous offre-là la poésie en rendant notre existence moins éphémère !
Toutefois, comme le sous-entend Adonis, l'élimination de la misère est également l'un de ses objectifs. Mise à part la caractérisation d'un état d'extrême pauvreté, elle se définit aussi par de la faiblesse et de l'impuissance que l'on peut retrouver dans Les charniers d'Eugène Guillevic. Paru en 1947 dans Exécutoire, il met en évidence l'incapacité des vivants à rendre un hommage après les horreurs produites durant la Deuxième guerre mondial. Révolté par la barbarie, l'auteur réussit à trouver les mots pour parler d'une réalité alors contemporaine. Avec l'opposition du charnier décrit dans la première strophe et les cadavres dépeints avec leurs "plaie" (v.34), aspects "vivant" (v.36) et "guérisse" (v.39). Comme l'a formulé plus tard Ferlinghetti dans son recueil de citations Définitions sur la poésie, "elle dit l'indicible, elle prononce l'imprononçable soupir du cœur", chassant ainsi le malheur, l'horreur et la misère du quotidien.

Et si, à l'inverse, la poésie rendait la vie sur terre moins belle, plus éphémère et plus misérable ? C'est ce que l'on peut se demander dans un second temps. A contrario du blason, un poème classique dédié à une partie du corps de la femme, son opposé -c'est-à-dire le contre-blason- est chargé de faire la disgrâce, le blâme de cette dernière. Clément Marot et son Blason du laid tétin (1535) en est le parfait exemple, d'autant plus qu'il est écrit en parallèle du Blason du beau tétin, son antithèse. D'après Ferlinghetti (toujours dans le même ouvrage), la poésie c'est "le sous-vêtement de l'âme". Chaque individu a donc sa propre opinion sur la vie et sa beauté ou sa laideur. La poésie fait office de messagère, elle traduit ce que ressent l'homme sans pour autant l'influencer, puisqu'elle recouvre une partie de l'âme sans la cacher entièrement.

Esmantium · Age: 25 Inscrit le: 01 Nov 2015 Messages: 6

(Oups, coupure du texte)

Concernant l'aspect moins éternel du sujet, il faut se référer au memoto mori. Cette locution latine basée sur le principe du "Souviens-toi que tu mourras" s'étend à tous les domaines artistiques mais plus particulièrement à la poésie, le thème de la fuite du temps ayant souvent été repris. Charles Baudelaire la développe dans son poème L'Horloge, dans lequel il personnifie une horloge justement : "Dont le doigt nous menace et nous dit : "Souviens-toi !"". L'humain est ici affaibli par ce temps qui passe, renforçant cette notion d'homme éphémère. Toutefois, même s'il s'agit à coup sûr de l'un des topoï de la littérature, plusieurs artistes emploient la poésie pour servir une idée contraire, comme Alfred de Musset dans Impromptu (Poésies nouvelles, 1852) qu'il associe au domaine du temps afin d'entamer une quête de souvenirs à travers la mémoire du narrateur, rendant par conséquent la poésie gagnante sur le temps.
Ensuite, la misère peut également se faire fonction de la versification. Effectivement, dans Le Spleen de Paris, Baudelaire lie ses idées à la vie, ressortant des faits divers tous plus sordides les uns que les autres, desquels se dégage un profond malheur, engouffrant le lecteur dans cette torpeur âcre qu'il ne connaît que trop bien. Mais dans ce cas, la poésie peut se faire engagée. C'est notamment le cas de Cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire qui, grâce au principe de la négritude, va rendre l'homme noir méprisant en lui faisant rejeter ses origines par un dégoût profond de son pays d'enfance, le Noir revivant ainsi sa haine. Cependant, ce point de vue qui peut sembler étrange permet l'acceptation de soi, et donc du Noir dans la société ; c'est une preuve qui montre qu'il ne doit pas être discrédité. "Ne faites pas attention à ma peau noire, c'est le soleil qui l'a brûlé" dit-il ainsi dans son livre, refusant son héritage pour mieux l'accepter par la suite.

Pour moi, la poésie a d'autres fonctions plus ou moins personnelles selon leur nature. Elle a avant tout vocation à apporter un sens nouveau à une situation à partir des mots. L'essayiste Roger Caillois a raconté cette anecdote à propos d'un mendiant aveugle, illustrant l'utilité de la poésie : à la place de "Aveugle de naissance" sur la pancarte tenue par le mendiant, un passant a écrit : "Le printemps va venir, je ne le verrai pas", constituant, selon Caillois, un "écarté par rapport au langage courant, ce qui fait de se passant un poète. C'est en quelque sorte une façon différente de voir le monde, enrichissant l'homme par la même occasion ; à l'image d'André Breton dans L'Union libre qui disloque le réel avec l'appartenance de l'œuvre au Surréalisme.

philippe, philo bac ES · Inscrit le: 06 Aoû 2014 Messages: 27

Salut

Ne t'inquiète pas pour la longueur tu as le contenu déjà

C'est un bon devoir, un plaisir de te lire Very Happy

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Bac ES philosophie 2015

Maryline, bac L · Inscrit le: 24 Déc 2012 Messages: 157

¨Merci pour l'agréable lecture

Excellent Very Happy

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16aubacdefrançaisentechn · Age: 24 Inscrit le: 09 Aoû 2015 Messages: 37

je confirme Lol

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Esmantium · Age: 25 Inscrit le: 01 Nov 2015 Messages: 6

Merci pour vos réponses, c'est très gentil à vous ! Cheers

Je poste tout de même ici la fin de mon devoir :

Quoi qu'il en soit, même si certains réfutent les idées qu'elle développe, la poésie rapproche les gens grâce aux messages qu'elle peut véhiculer. De tous temps les auteurs se sont regroupés autour d'une même thématique propre à leur Histoire contemporaine. Qu'elle s'impose en tendance littéraire -devenant ainsi un courant définit par la suite- ou réponde à une doctrine -se transformant alors en un mouvement-, il est un fait indiscutable : son sens a toujours un intérêt. Qu'il cherche à émouvoir pour les Romantiques ou à rapprocher deux idées contraires pour les Surréalistes, l'art poétique est une clé propre à tous les cœurs, une infinité de formes et de sensibilités.

Finalement, on ne peut pas forcément se fier aux grands sages quand il s'agit d'une notion aussi personnelle que le poésie. Platon disait qu'elle était inutile. Le philosophe pensait qu'elle éloignait l'homme de la vérité première, l'intelligible. Pourtant c'est un pilier fondamental de la littérature qui rend effectivement la vie sur terre plus belle, moins éphémère et moins misérable même si -n'en déplaise à Platon- elle occupe d'autres fonctions et que cette affirmation énoncée par Adonis peut également être contestée. Selon moi, la poésie c'est la peinture éternelle d'une inspiration fugace à coups de sens, d'éloge et de sentiments ; des nuances colorées dans une existence trop pâle dénuée de sensibilité.

Voilà, si on résume ça fait un plan de ce type :

I. (4)
II. (3)
III. (2)

J'ai cru comprendre qu'il pouvait être bancal en dissertation. Hockey

Mentionbienaubacfrançais · Age: 24 Inscrit le: 09 Aoû 2015 Messages: 36

Non pas bancal
j'ai adoré te lire Very Happy

2016 français bac techno · Age: 25 Inscrit le: 09 Aoû 2015 Messages: 47

Bonjour les amis

je trouve aussi que ce devoir est bien instructif
Merci à toi pour le partage Lol