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Don Juan, entre démythification et remythification

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MessageSujet: Don Juan, entre démythification et remythification  Posté leSam Jan 29, 2011 12:32 am Répondre en citant

Don Juan, entre démythification et remythification.



Don Juans insolites, Pierre Brunel (dir.), Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2008.




La figure mythique de Don Juan, profondément espagnole à ses débuts, a très rapidement pris une ampleur universelle qui ne s’est jamais démentie depuis lors. Personnage aux multiples facettes, figure ouverte à toutes les modifications créatrices, son originalité en fait un fascinant objet d’étude. C’est ce que veut démontrer cet ouvrage, qui constitue les actes d’un colloque organisé en 2004 par le Centre de recherche en littérature comparée de la Sorbonne, et réunit dix-sept articles qui se sont attachés à mettre en valeur des « Don Juans » littéraires moins connus, voire même inconnus, qui permettent de questionner le mythe et son extraordinaire vitalité.

Pierre Brunel, directeur de la publication, précise en exergue qu’il ne s’agit pas d’envisager l’éternelle figure du séducteur mais plutôt « un Don Juan multiplié, dont les avatars sont souvent surprenants », ce qui explique le pluriel adopté dans le titre. C’est d’ailleurs Pierre Brunel lui-même qui ouvre et clôt l’ouvrage par deux articles fort différents qui ne sont pas présentés comme introduction et conclusion, comme si, pour lui, cet ensemble d’études constituait une étape de plus dans l’évocation d’un mythe inépuisable. Dans son premier article, il justifie le qualificatif du titre en présentant Don Juan comme un personnage à la fois trop connu et mal connu, insolent dans tous les sens du terme et insolite parce qu’éminemment inattendu, un être qui se revendique comme étant au delà de toute norme par son comportement volontairement opposé aux usages établis. Dans le dernier article, il propose une relecture originale de l’attitude de Don Juan en utilisant les références aquatiques apparemment récurrentes dans certaines des œuvres qui le mettent en scène, comme, par exemple, l’épisode des pêcheurs chez Molière, ou les chansons de la pièce de Tirso. En proposant la métaphore du requin qui nage en eau trouble, il en tire, avec humour, la conclusion que Don Juan peut au moins être considéré comme un très « gros poisson » littéraire.

Deux articles traitent de pièces pastorales françaises du XVII° siècle. Celui de Daniela Dalla Valle s’attache à la figure de l’inconstant à travers de nombreux textes, en distinguant l’inconstant « blanc », qui n’est que séducteur, de l’inconstant « noir », caractérisé par l’importance du défi lancé au surnaturel et de la vengeance divine qui en est la conséquence. Elle conclut qu’apparemment le seul Don Juan pastoral qui unisse ces deux aspects est celui de L’Inconstance punie (1630-1641) qu’étudie plus précisément Monica Pavesio dans l’article suivant. Celle-ci souligne tout particulièrement les similitudes de cette pièce avec le Burlador de Sevilla de Tirso de Molina — et notamment le défi à la divinité —, et elle suggère que la diffusion et l’introduction en France de l’argument de la comédie de Tirso a pu s’opérer par le biais des imitations que les acteurs italiens de la Commedia dell’arte devaient en faire à une époque où ils rencontraient beaucoup de succès.

De nombreux articles se réfèrent à la pièce de Molière, mais c’est particulièrement significatif dans deux d’entre eux : ceux de José Manuel Losada Goya et de Giovanni Dotoli. Ce dernier propose une relecture originale de Dom Juan à la lumière de la poésie. Considérant que le personnage central possède d’une façon extraordinaire le don de la parole, il voit en lui un virtuose de l’arabesque dont le discours s’articule finalement comme un poème, ce qui contribue à le transformer en poète « de la parole, de la quête et de la lutte entre Satan et Dieu ». Dans cette optique, on comprend mieux l’appropriation ultérieure de cette figure par des artistes comme Baudelaire ou Byron qui voyaient en elle leur propre image de poète maudit. José Manuel Losada Goya propose, quant à lui, le résultat d’un original travail de limier qui a consisté à suivre à la trace les références discrètes à Don Juan, des réminiscences de la pièce de Molière pour la plupart, éparpillées dans l’œuvre de Victor Hugo, principalement dans ses poèmes et certains de ses romans.

Il arrive néanmoins à Don Juan d’être sauvé, comme dans la pièce de Zorrilla. C’est ainsi qu’Olivier Piveteau s’intéresse à l’un des avatars de Don Juan Tenorio : Don Juan de Maraña, qui serait en réalité un intrus littéraire dû à la plume de Mérimée à partir de l’épitaphe du très réel Don Miguel de Mañara, fondateur de l’Hôpital de la Charité, à Séville, présenté, peut-être à tort, comme « un second Lucifer, mais sauvé », ce qui a permis l’amalgame entre les deux personnages, et inspiré de très nombreux écrivains, notamment Alexandre Dumas pour sa pièce Don Juan de Maraña, ou la chute d’un ange. Cette même tradition est également à la source de l’unique œuvre dramatique de Marie Noël, Le Jugement de Don Juan (1955), dont Xavier Galmiche détaille l’élaboration, de la genèse à la production. Cette pièce, conçue comme un « miracle » ou « mystère » dans le sens médiéval donné à ce genre de représentation, et où Don Juan est sauvé par la Vierge Marie qui a su provoquer son repentir, s’est avèrée très difficile à mettre en scène et n’a finalement été produite que sous forme radiophonique. Pour revenir temporairement à la pièce d’Alexandre Dumas, signalons l’article de Jean-Pierre Pouget qui la met en parallèle avec L’Ambigu (1996) de Roland Topor parce que, dans les deux œuvres, le mythe est revisité pour être mis soit au service d’une certaine vision du monde — chez Dumas —, soit au service d’un jeu intellectuel et littéraire — chez Topor. D’après l’auteur, en étirant le champ d’action du séducteur, on prend le risque de distendre le mythe, même si on ne parvient jamais à lui faire perdre totalement sa nature profonde.

En effet, chez Topor, c’est toute l’ambiguïté de la sexualité humaine qui est au centre de L’Ambigu, comme le démontre Domingo Pujante González. Il s’agit d’une pièce-monologue en onze tableaux où trois personnages muets accompagnent un Don Juan qui parcourt son labyrinthe intérieur, à la recherche de la dernière femme qu’il entreprend de séduire. Cette pièce, entièrement basée sur la confusion entre masculin et féminin, extérieur et intérieur, corps et âme, vie et mort, cultive l’ambiguïté sexuelle jusqu’à la sublimation, et subvertit le mythe en transformant Don Juan en un Narcisse schizophrène, amoureux de son côté féminin. De même, après avoir lié liberté et libertinage en ce qui concerne le héros mythique, Claudia Jullien analyse la pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt, La nuit de Valognes (1989), en positionnant ce nouveau Don Juan par rapport à ceux d’autres auteurs — comme Montherlant et Frisch — pour souligner sa souplesse d’adaptation. Elle décrit avec insistance la sensorialité de la sensualité des femmes séduites, ce qui lui permet de mettre en évidence l’amour paradoxal présent au cœur de ce texte bigarré, autant littéraire que philosophique.

La popularité de la figure mythique de Don Juan à l’étranger n’est plus à prouver, et plusieurs articles se penchent sur des pièces de théâtre d’auteurs européens ou américains fascinés eux aussi par un personnage dont la personnalité peut encore être sujette à de multiples transformations. Michel Cadot présente, par exemple, la pièce Don Juan (1859) du Russe Alexis Konstantinovitch Tolstoï (cousin éloigné de Léon Tolstoï) comme « une tentative complexe d’intégration des différentes conceptions de ce personnage essentiel de l’imaginaire mythique européen ». Charalambos Varélis cherche à faire connaître la postérité méconnue de Don Juan en Grèce en évoquant, d’une part un poème satirique de Georgios Souris — Don Juan (1881) — qui se situe à Athènes et où la figure de Don Juan sert de prétexte pour tourner en ridicule la vie politique économique et sociale de la Grèce des années 1880 et, d’autre part, une pièce de théâtre de Charis Lambidis — Don Juan et les sept Marie (1976) —, très inspirée de celle de Molière, mais placée dans le contexte grec du XV° siècle, à la veille de la prise de Constantinople par les Turcs Ottomans. Everton Machado analyse la pièce Dom João e Julieta (1999), de la Portugaise Natália Correia dans lequel le mythe de Don Juan rejoint à la fois le drame shakespearien, le mythe de Narcisse et celui de Tristan et Iseult. Julieta est la femme intérieure que Don Juan porte en lui depuis longtemps, ce sera aussi son dernier amour, celui qui lui apportera la souffrance, le désespoir et la mort. Enfin, Tania Franco Carvalhal envisage la transposition du thème espagnol en Amérique Latine, avec l’introduction de motifs traditionnels argentins, dans le Don Juan (1978) de Leopoldo Marechal, « exposé dramatique d’un conflit métaphysique » dont l’originalité est de montrer un Don Juan pathétique, mélancolique et hésitant, fort éloigné du personnage de conquérant habituel, et de présenter le drame d’une double personnalité tiraillée entre ciel et enfer.

Cette postérité internationale ne touche pas seulement le théâtre comme on le voit à travers l’article d’Isabelle Lucas qui étudie un conte fantastique de l’Anglais Victor Sawdon Pritchett, écrit en 1953, où il est question de la seule nuit « solitaire » de Don Juan, passée en réalité en compagnie d’une morte à qui il aura apporté le plaisir qu’elle n’avait pas connu de son vivant. L’auteur met face à face deux figures antithétiques qui « finissent par se rejoindre comme deux facettes d’un même personnage grâce à la réapparition subvertie des grands invariants » du mythe, et insiste sur l’humour ironique du texte, basé sur les jeux de double et la laïcisation de la légende qui la détourne, de façon originale, de toute idée de transcendance. Enfin, il faut souligner l’effervescence de l’article de Daniel-Henri Pageaux qui décrit minutieusement l’étrange structure de Larva (1983), ouvrage hors norme de l’Espagnol Julián Ríos, constitué par un tourbillon incessant de mots réels, de mots fictifs, de mots-tiroirs, de jeux de mots, de langues et de langages, « immense et continue anamorphose verbale » qui rapproche le mythe protéiforme de Don Juan de celui de Faust, et produit un véritable « patchwork culturel » où s’accomplit un double processus poétique de démythification et remythification par contamination avec d’autres mythes européens.

Cet ouvrage collectif apporte une fois de plus la preuve que, mythe littéraire devenu mythe universel toujours en mouvement, Don Juan est la proie d’incessantes métamorphoses tant dans son personnage même que dans le déroulement de ses aventures, la personnalités des femmes séduites ou dans la forme que peut revêtir le défi lancé à des forces supérieures, divines ou non, liées aux mystères de la vie de l’amour et de la mort. De la sorte, qu’il s’agisse de subversion ou d’exaltation du mythe, les multiples réécritures de la figure de Don Juan ne font que conforter le fait qu’il s’apparente vraiment, comme l’a bien dit G. Dotoli, à la race des voleurs de feu, et qu’il continue à symboliser l’infatigable orgueil de l’être humain éternellement en quête de nouvelles limites à surpasser.

par Catherine d’Humières
Publié sur Acta le 6 juin 2008


Catherine d’Humières , "Don Juan, entre démythification et remythification.", Acta Fabula, Notes de lecture, URL :
http://www.fabula.org/revue/document4284.php




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