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 DU BREVET AU BAC :: LECTURES COMPLEMENTAIRES, HISTOIRE DES ARTS :: Montaigne, le bonheur, Essais, III, 2. Argumentation

Montaigne, le bonheur, Essais, III, 2. Argumentation

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MessageSujet: Montaigne, le bonheur, Essais, III, 2. Argumentation  Posté leJeu Mar 07, 2013 3:52 pm Répondre en citant




Montaigne, La Librairie ( Essais III, 2)





l'argumentation





Objet d'étude: la question de l'homme dans les genres de l'argumentation du XVIème à nos jours

Problématique: quels arguments sont apportés par les écrivains et les philosophes pour accéder Bonheur au fil des siècles?





I - Groupement de textes, corpus «où réside le bonheur?»

Montaigne, les Essais, III, la librairie (Humanisme)


Mme du Châtelet, Discours sur le Bonheur, la passion, lecture analytique n°1


Fontenelle, Du bonheur, le danger de la passion, lecture complémentaire


Alain Propos sur le Bonheur, Agir, lecture analytique n°2





Lecture du texte




Chez moi, je me détourne un peu plus souvent à ma librairie, d’où tout d’une

main je commande à mon ménage. Je suis sur l’entrée et je vois sous moi mon

jardin, ma basse cour, ma cour, et dans la plupart des membres de ma maison. Là,

je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans

dessein, à pièces décousues ; tantôt je rêve, tantôt j’enregistre et dicte, en me

promenant, mes songes que voici.

Elle est au troisième étage d’une tour. Le premier c’est ma chapelle, le

second une chambre et sa suite, où je me couche souvent, pour être seul. Au

dessus, elle a une grande garde-robe. C’était au temps passé le lieu le plus inutile

de ma maison. Je passe là la plupart des jours de ma vie, et la plupart des heures

du jour. Je n’y suis jamais la nuit. A sa suite est un cabinet assez poli, capable à

recevoir du feu pour l’hiver, très plaisamment percé. Et, si je ne craignais non plus

le soin que la dépense, le soin qui me chasse de toute besogne, je pourrais

facilement coudre à chaque côté une galerie de cent pas de long et douze de

large, à plein pied, ayant trouvé tous les murs montés pour un autre usage, à la

hauteur qu’il me faut. Tout lieu retiré recquiert un promenoir. Mes pensées dorment

si je les assis. Mon esprit ne va si les jambes ne l’agitent. Ceux qui étudient sans

livres, en sont tous là. La figure en est ronde et n’a de plat que ce qu’il faut à ma

table et à mon siège, et vient m’offrant en se courbant, d’une vue, tous mes livres,

rangés à cinq degrés tout à l’environ. Elle a trois vues de riche et simple prospect,

et seize pas de vide en diamètre. En hiver, j’y suis moins régulièrement : car ma

maison est juchée sur un tertre comme dit son nom, et n’a point de pièce plus

éventée que celle-ci ; qui me plaît d’être un peu pénible et à l’écart, tant pour le fruit

de l’exercice que pour reculer de moi la presse. C’est là mon siège. J’essaie de

m’en rendre la domination pure, et à soustraire ce seul coin à la communauté et

conjugale, et filiale, et civile. Partout ailleurs je n’ai qu’une autorité verbale : en

essence confuse. Misérable à son gré qui n’a chez soi où être à soi, où se faire

particulièrement la cour, où se cacher ! L’ambition paie bien ses gens de les tenir

toujours en montre, comme la statue d’un marché : “magna servitus est magna

fortuna ”. Ils n’ont pas seulement leur retrait pour retraite. Je n’ai jugé de si rude en

l’autorité de vie que nos religieux affectent, que ce que je vois en quelqu’une de

leurs compagnies, avoir pour règle une perpétuelle société de lieu, et assistance

nombreuse entre eux, en quelque action que ce soit. Et trouve aucunement

supportable d’être toujours seul, que ne le pouvoir jamais être.

Si quelqu’un me dit que c’est avilir les muses de s’en servir seulement de jouet et

de passe-temps, il ne sait pas comme moi, combien vaut le plaisir, le jeu et le

passe-temps. A peine que je ne die toute autre fin être ridicule. Je vis du jour à la

journée ; et, parlant en révérence, ne vis que pour moi : mes desseins se terminent

là. J’étudiais, jeune, pour l’ostentation ; depuis un peu, pour m’assagir ; à cette

heure, pour m’ébattre ; jamais pour le quest . Une humeur vaine et dépensière que

j’avais après cette sorte de meuble, non pour en pourvoir seulement mon besoin,

mais de trois pas au-delà pour m’en tapisser et parer, je l’ai piéçà abandonnée.

Les livres ont beaucoup de qualités agréables à ceux qui les savent choisir ;

mais aucun bien sans peine : c’est un plaisir qui n’est pas net et pur ainsi que les

autres ; il a ses incommodités et bien pesantes ; l’âme s’y exerce, mais le corps,

duquel je n’ai non plus oublié le soin, demeure cependant sans action, s’atterre et

s’attriste. Je ne sache excès plus dommageable pour moi, ni plus à éviter à cette

déclinaison d’âge.



« Chez moi je me

détourne un peu plus

souvent à ma librairie

[…] dans la plupart

des membres de ma

maison. »



Verbe « me détourne ».

Distinction « Chez moi » / en

voyage.

Enumération : « mon jardin, ma

basse-cour, ma cour, et dans la

plupart des membres



1. Logée au haut d'une tour, cette « librairie », objective et belle trace de l'humanisme

de Montaigne, a une situation stratégique et symbolique. Montaigne peut s'y retirer tout

en restant dans sa maison et tout en veillant à son « ménage » c'est-à-dire à sa gestion

(« tout d’une main je commande »). Il se trouve là idéalement et métaphoriquement comme il

a toujours voulu être dans la vie : au-dessus des tumultes du monde (« me détourne ») qui

troublent l'âme et la méditation du sage, mais dans le monde et au milieu des choses

humaines cependant – toujours prêt à s'en mêler, s'il le faut et dût-il lui en coûter (voir

sa biographie).

2. Les livres font de la sorte corps avec Montaigne : compagnons irréprochables, ils

l'accompagnent au plus quotidien et au plus concret de sa vie comme le suggèrent les

mots « jardin, basse-cour, cour » au début de l'extrait.





« Là, je feuillette à

cette heure un livre, à

cette heure un autre,

sans ordre et sans

dessein, à pièces

décousues.



Choix du verbe « feuilleter »

et non « lire ».

Parallélisme : « à cette heure un

livre, à cette heure un autre ».





1. Montaigne lit comme il écrit : « à pièces décousues » ne peut manquer d’évoquer les

expressions « Je m’égare, mais plutôt par licence que par mégarde », « J’aime l’allure poétique, à sauts

et à gambades »…

2. Quelle « licence », quelle liberté dans sa pratique de la lecture, dans sa relation avec

les livres !

« Feuilleter » : « Tourner les pages de (un livre, un cahier), spécialt en les regardant,

en les lisant rapidement et un peu au hasard. » (Petit Robert)

Parallélisme : « à cette heure un livre, à cette heure un autre ». [Il y a aussi le parallélisme

« tantôt… tantôt… » : voir ligne suivante du tableau] → Libre vagabondage de son esprit.





« tantôt je rêve, tantôt

j'enregistre et dicte,

en me promenant,

mes songes que

voici. »



Parallélisme « tantôt… tantôt » +

sens opposé (ou complémentaire

dans l’esprit de Montaigne, dans sa

pratique de la lecture et de

l’écriture) de « rêve » et « enregistre »,

« dicte ».

Emploi de « songes » pour

désigner les Essais.





1. Voici d'abord Montaigne dans sa bibliothèque, au coeur de sa maison, lisant, rêvant,

composant les Essais !

2. Le mot « songes », pour désigner l’oeuvre qu’il écrit, fait penser au mot « fantaisies » :

« Ce sont ici mes fantaisies, par lesquelles je ne tâche point à donner à connaître les choses, mais moi. »

3. Le style de Montaigne traduit bien cet abandon à l'inspiration du moment (« à cette

heure..., à cette heure » ; « tantôt..., tantôt »). S'agit-il de paresse ? de laisser-aller ?

Reconnaissons plutôt un tempérament rebelle à toute contrainte, et n'oublions pas que

les « songes que voici » ne sont pas de vaines et nébuleuses rêveries (puisqu’il s’agit des

Essais !)…

4. Avant la « visite » de sa bibliothèque, Montaigne nous donne à visiter son caractère ;

le lecteur découvre une personnalité qui nous séduit précisément parce que nous

n'avons pas affaire à un penseur patenté, épris de spéculations [dico], mais à un

homme adonné au libre jeu de l'intelligence et de l'imagination.

5. « en me promenant » : Montaigne explique ailleurs dans les Essais qu’il médite mieux

lorsque son corps est en mouvement. Son esprit « se promène » d’autant mieux que

son corps « se promène » aussi.





« Elle est au

troisième étage d'une

tour. […] Au-dessus,

elle a une grande

garde-robe.»





1. La description est claire : on pourrait dessiner une coupe de la tour puis un plan du

troisième étage ! Quel délice pour un lecteur, lui-même amoureux des livres et de la

retraite studieuse, de s’imaginer dans cette tour, ce « paradis » de l’étude festive !

2. Mais cette description du lieu ne sombre pas dans un inventaire balzacien. Montaigne

revient très vite à lui et à son goût pour la solitude (« pour être seul »). De même que

Montaigne s’intéresse moins aux livres qu’à son rapport avec les livres, il s’intéresse

moins aux lieux qu’à son rapport avec les lieux.

3. Prier (« chapelle »), dormir (« chambre »), s’habiller (« garde-robe »), lire : Montaigne

pourrait presque vivre en autarcie [dico] dans sa tour chérie ! Il manquerait la bonne

chère qu’apprécie aussi tant ce gastronome de « nourritures spirituelles »…







« C'était au temps

passé le lieu plus

inutile de ma

maison. »



Antithèses implicites :

- « au temps passé » s’oppose à

« aujourd’hui » (moment de

l’énonciation).

- Le superlatif « le lieu plus inutile »

s’oppose au superlatif que

suggère tout l’extrait : « le lieu

plus utile de ma maison ».



1. Cette librairie a été imaginée, voulue, aménagée par Montaigne (il a fait faire des

travaux dans sa tour) : elle est sa « création »





« Je passe là et la

plupart des jours de

ma vie, et la plupart

des heures du jour. »



Polysyndète [dico, Asyndète ;

« polysyndète est le contraire

de « asyndète »] : « et la plupart

des jours de ma vie, et la plupart des

heures du jour ».

Parallélisme (« la plupart… la

plupart… ») qui met en évidence la

répétition de « la plupart » et la

succession signifiante des deux

expressions « la plupart des jours de ma

vie » puis



Parallélisme et polysyndète → Montaigne passe l’essentiel de sa vie dans sa

librairie !



« La figure en est

ronde et n'a de plat

que ce qu'il faut à ma

table et à mon siège,

et vient m'offrant en

se courbant, d'une

vue, tous mes livres,

rangés à cinq degrés,

tout à l'environ. »



Comment interpréter « vient m’offrant en se courbant » ?... Quoi qu’il en soit, la générosité

(« m’offrant ») de ce lieu est patente [dico] !

2. Circulaire, cette salle de travail a forme parfaite. Elle est devenue le centre de la

maison où bat le coeur de son maître et où s'élaborent ses rêves et ses pensées.

3. « tous mes livres, rangés à cinq degrés, tout à l'environ » → Montaigne est littéralement entouré

de ses livres (comme on se dit parfois « entouré de ses amis »).

4. « cinq degrés » : nombre important de livres, nombre sans doute assez exceptionnel

pour une bibliothèque privée à l’époque.





« Elle a trois vues de

riche et libre prospect

et seize pas de vide

en diamètre. »



Symbolisme potentiel des

« vues » et du « prospect ».

Précision réaliste de la

description : « seize pas de vide en

diamètre ».



Symbolisme potentiel des « vues » et du « prospect » : les livres aussi sont une

ouverture, une « fenêtre » sur le monde, sur l’homme, sur soi-même…

2. Tout le passage sur la librairie, d'un lyrisme fervent [dico, Ferveur] sans affectation

[dico], familier et chaleureux, est caractéristique de Montaigne. « Lyrisme » car

Montaigne veut exprimer et communiquer au lecteur son amour pour les livres et pour

sa librairie.

3. La description de sa librairie tend à en faire un microcosme [dico, surtout sens 2] : la

circularité de la tour est propice à l'enchâssement de ce petit univers des livres dans le

vaste monde que le regard domine par les fenêtres.





« En hiver, j'y suis

moins continuellement

[…] tant pour le fruit

de l'exercice, que

pour reculer de moi la

presse. »



Nous pouvons apprécier les « commodités » (« tant… que » → monter à sa librairie lui

fait faire du sport, « fruit de l’exercice » + il est loin de la foule, « reculer de moi la presse ») que

la position de cette bibliothèque offre à Montaigne, commodités dont la principale est la

jouissance de la solitude et de la liberté.

2. Mais ce lieu présente aussi quelques inconvénients : « En hiver », « n’a point de pièce plus

éventée »… → Souci de Montaigne de ne pas « idéaliser » ce lieu mais de le peindre tel

qu’il est, de le peindre « tout entier et tout nu » (comme il s’est engagé à peindre son moi

dans le préambule) ! De même Montaigne, dans cet extrait, n’idéalise pas ses relations

avec les livres (il existe des inconvénients, le commerce des livres ne répond pas à tous

les besoins) : dans les Essais, Montaigne veut rendre compte de son vécu, de ses

expériences, sans simplifications, sans exagérations, sans idéalisations (approche très

« moderne » de l’écriture autobiographique).



Cette pièce garantit son indépendance (son isolement protecteur) à l'égard de sa

femme (« conjugale »), de sa fille (« filiale ») et de ses concitoyens (« civile »).

. L’antithèse « là » / « par tout ailleurs », la polysyndète, le présentatif « c’est », le possessif

« mon siège », concourent à ériger cette librairie comme le lieu de prédilection de

Montaigne, le lieu où il est réellement et totalement lui-même, libre… et sans doute

heureux.

Il ne s'agit pas d'une vague autonomie, mais de la liberté dans la plénitude de son

exercice (« par tout ailleurs je n'ai qu'une autorité verbale »). Pour être libre, il ne faut dépendre

ni d'autrui





http://www.ffreby.net/Telechargements/Trois_commerces.pdf
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