DU BREVET AU BAC Préparation au brevet et au bac de français, philosophie et HLP
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Prépabac, examen2017 Administrateur
Age: 59 Inscrit le: 07 Déc 2009 Messages: 6069 Localisation: versailles
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Sujet: Montaigne, le bonheur, Essais, III, 2. Argumentation Jeu Mar 07, 2013 3:52 pm |
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Montaigne, La Librairie ( Essais III, 2)
l'argumentation
Objet d'étude: la question de l'homme dans les genres de l'argumentation du XVIème à nos jours
Problématique: quels arguments sont apportés par les écrivains et les philosophes pour accéder Bonheur au fil des siècles?
I - Groupement de textes, corpus «où réside le bonheur?»
•
Montaigne, les Essais, III, la librairie (Humanisme)
•
Mme du Châtelet, Discours sur le Bonheur, la passion, lecture analytique n°1
•
Fontenelle, Du bonheur, le danger de la passion, lecture complémentaire
•
Alain Propos sur le Bonheur, Agir, lecture analytique n°2
Lecture du texte
Chez moi, je me détourne un peu plus souvent à ma librairie, d’où tout d’une
main je commande à mon ménage. Je suis sur l’entrée et je vois sous moi mon
jardin, ma basse cour, ma cour, et dans la plupart des membres de ma maison. Là,
je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans
dessein, à pièces décousues ; tantôt je rêve, tantôt j’enregistre et dicte, en me
promenant, mes songes que voici.
Elle est au troisième étage d’une tour. Le premier c’est ma chapelle, le
second une chambre et sa suite, où je me couche souvent, pour être seul. Au
dessus, elle a une grande garde-robe. C’était au temps passé le lieu le plus inutile
de ma maison. Je passe là la plupart des jours de ma vie, et la plupart des heures
du jour. Je n’y suis jamais la nuit. A sa suite est un cabinet assez poli, capable à
recevoir du feu pour l’hiver, très plaisamment percé. Et, si je ne craignais non plus
le soin que la dépense, le soin qui me chasse de toute besogne, je pourrais
facilement coudre à chaque côté une galerie de cent pas de long et douze de
large, à plein pied, ayant trouvé tous les murs montés pour un autre usage, à la
hauteur qu’il me faut. Tout lieu retiré recquiert un promenoir. Mes pensées dorment
si je les assis. Mon esprit ne va si les jambes ne l’agitent. Ceux qui étudient sans
livres, en sont tous là. La figure en est ronde et n’a de plat que ce qu’il faut à ma
table et à mon siège, et vient m’offrant en se courbant, d’une vue, tous mes livres,
rangés à cinq degrés tout à l’environ. Elle a trois vues de riche et simple prospect,
et seize pas de vide en diamètre. En hiver, j’y suis moins régulièrement : car ma
maison est juchée sur un tertre comme dit son nom, et n’a point de pièce plus
éventée que celle-ci ; qui me plaît d’être un peu pénible et à l’écart, tant pour le fruit
de l’exercice que pour reculer de moi la presse. C’est là mon siège. J’essaie de
m’en rendre la domination pure, et à soustraire ce seul coin à la communauté et
conjugale, et filiale, et civile. Partout ailleurs je n’ai qu’une autorité verbale : en
essence confuse. Misérable à son gré qui n’a chez soi où être à soi, où se faire
particulièrement la cour, où se cacher ! L’ambition paie bien ses gens de les tenir
toujours en montre, comme la statue d’un marché : “magna servitus est magna
fortuna ”. Ils n’ont pas seulement leur retrait pour retraite. Je n’ai jugé de si rude en
l’autorité de vie que nos religieux affectent, que ce que je vois en quelqu’une de
leurs compagnies, avoir pour règle une perpétuelle société de lieu, et assistance
nombreuse entre eux, en quelque action que ce soit. Et trouve aucunement
supportable d’être toujours seul, que ne le pouvoir jamais être.
Si quelqu’un me dit que c’est avilir les muses de s’en servir seulement de jouet et
de passe-temps, il ne sait pas comme moi, combien vaut le plaisir, le jeu et le
passe-temps. A peine que je ne die toute autre fin être ridicule. Je vis du jour à la
journée ; et, parlant en révérence, ne vis que pour moi : mes desseins se terminent
là. J’étudiais, jeune, pour l’ostentation ; depuis un peu, pour m’assagir ; à cette
heure, pour m’ébattre ; jamais pour le quest . Une humeur vaine et dépensière que
j’avais après cette sorte de meuble, non pour en pourvoir seulement mon besoin,
mais de trois pas au-delà pour m’en tapisser et parer, je l’ai piéçà abandonnée.
Les livres ont beaucoup de qualités agréables à ceux qui les savent choisir ;
mais aucun bien sans peine : c’est un plaisir qui n’est pas net et pur ainsi que les
autres ; il a ses incommodités et bien pesantes ; l’âme s’y exerce, mais le corps,
duquel je n’ai non plus oublié le soin, demeure cependant sans action, s’atterre et
s’attriste. Je ne sache excès plus dommageable pour moi, ni plus à éviter à cette
déclinaison d’âge.
« Chez moi je me
détourne un peu plus
souvent à ma librairie
[…] dans la plupart
des membres de ma
maison. »
Verbe « me détourne ».
Distinction « Chez moi » / en
voyage.
Enumération : « mon jardin, ma
basse-cour, ma cour, et dans la
plupart des membres
1. Logée au haut d'une tour, cette « librairie », objective et belle trace de l'humanisme
de Montaigne, a une situation stratégique et symbolique. Montaigne peut s'y retirer tout
en restant dans sa maison et tout en veillant à son « ménage » c'est-à-dire à sa gestion
(« tout d’une main je commande »). Il se trouve là idéalement et métaphoriquement comme il
a toujours voulu être dans la vie : au-dessus des tumultes du monde (« me détourne ») qui
troublent l'âme et la méditation du sage, mais dans le monde et au milieu des choses
humaines cependant – toujours prêt à s'en mêler, s'il le faut et dût-il lui en coûter (voir
sa biographie).
2. Les livres font de la sorte corps avec Montaigne : compagnons irréprochables, ils
l'accompagnent au plus quotidien et au plus concret de sa vie comme le suggèrent les
mots « jardin, basse-cour, cour » au début de l'extrait.
« Là, je feuillette à
cette heure un livre, à
cette heure un autre,
sans ordre et sans
dessein, à pièces
décousues.
Choix du verbe « feuilleter »
et non « lire ».
Parallélisme : « à cette heure un
livre, à cette heure un autre ».
1. Montaigne lit comme il écrit : « à pièces décousues » ne peut manquer d’évoquer les
expressions « Je m’égare, mais plutôt par licence que par mégarde », « J’aime l’allure poétique, à sauts
et à gambades »…
2. Quelle « licence », quelle liberté dans sa pratique de la lecture, dans sa relation avec
les livres !
« Feuilleter » : « Tourner les pages de (un livre, un cahier), spécialt en les regardant,
en les lisant rapidement et un peu au hasard. » (Petit Robert)
Parallélisme : « à cette heure un livre, à cette heure un autre ». [Il y a aussi le parallélisme
« tantôt… tantôt… » : voir ligne suivante du tableau] → Libre vagabondage de son esprit.
« tantôt je rêve, tantôt
j'enregistre et dicte,
en me promenant,
mes songes que
voici. »
Parallélisme « tantôt… tantôt » +
sens opposé (ou complémentaire
dans l’esprit de Montaigne, dans sa
pratique de la lecture et de
l’écriture) de « rêve » et « enregistre »,
« dicte ».
Emploi de « songes » pour
désigner les Essais.
1. Voici d'abord Montaigne dans sa bibliothèque, au coeur de sa maison, lisant, rêvant,
composant les Essais !
2. Le mot « songes », pour désigner l’oeuvre qu’il écrit, fait penser au mot « fantaisies » :
« Ce sont ici mes fantaisies, par lesquelles je ne tâche point à donner à connaître les choses, mais moi. »
3. Le style de Montaigne traduit bien cet abandon à l'inspiration du moment (« à cette
heure..., à cette heure » ; « tantôt..., tantôt »). S'agit-il de paresse ? de laisser-aller ?
Reconnaissons plutôt un tempérament rebelle à toute contrainte, et n'oublions pas que
les « songes que voici » ne sont pas de vaines et nébuleuses rêveries (puisqu’il s’agit des
Essais !)…
4. Avant la « visite » de sa bibliothèque, Montaigne nous donne à visiter son caractère ;
le lecteur découvre une personnalité qui nous séduit précisément parce que nous
n'avons pas affaire à un penseur patenté, épris de spéculations [dico], mais à un
homme adonné au libre jeu de l'intelligence et de l'imagination.
5. « en me promenant » : Montaigne explique ailleurs dans les Essais qu’il médite mieux
lorsque son corps est en mouvement. Son esprit « se promène » d’autant mieux que
son corps « se promène » aussi.
« Elle est au
troisième étage d'une
tour. […] Au-dessus,
elle a une grande
garde-robe.»
1. La description est claire : on pourrait dessiner une coupe de la tour puis un plan du
troisième étage ! Quel délice pour un lecteur, lui-même amoureux des livres et de la
retraite studieuse, de s’imaginer dans cette tour, ce « paradis » de l’étude festive !
2. Mais cette description du lieu ne sombre pas dans un inventaire balzacien. Montaigne
revient très vite à lui et à son goût pour la solitude (« pour être seul »). De même que
Montaigne s’intéresse moins aux livres qu’à son rapport avec les livres, il s’intéresse
moins aux lieux qu’à son rapport avec les lieux.
3. Prier (« chapelle »), dormir (« chambre »), s’habiller (« garde-robe »), lire : Montaigne
pourrait presque vivre en autarcie [dico] dans sa tour chérie ! Il manquerait la bonne
chère qu’apprécie aussi tant ce gastronome de « nourritures spirituelles »…
« C'était au temps
passé le lieu plus
inutile de ma
maison. »
Antithèses implicites :
- « au temps passé » s’oppose à
« aujourd’hui » (moment de
l’énonciation).
- Le superlatif « le lieu plus inutile »
s’oppose au superlatif que
suggère tout l’extrait : « le lieu
plus utile de ma maison ».
1. Cette librairie a été imaginée, voulue, aménagée par Montaigne (il a fait faire des
travaux dans sa tour) : elle est sa « création »
« Je passe là et la
plupart des jours de
ma vie, et la plupart
des heures du jour. »
Polysyndète [dico, Asyndète ;
« polysyndète est le contraire
de « asyndète »] : « et la plupart
des jours de ma vie, et la plupart des
heures du jour ».
Parallélisme (« la plupart… la
plupart… ») qui met en évidence la
répétition de « la plupart » et la
succession signifiante des deux
expressions « la plupart des jours de ma
vie » puis
Parallélisme et polysyndète → Montaigne passe l’essentiel de sa vie dans sa
librairie !
« La figure en est
ronde et n'a de plat
que ce qu'il faut à ma
table et à mon siège,
et vient m'offrant en
se courbant, d'une
vue, tous mes livres,
rangés à cinq degrés,
tout à l'environ. »
Comment interpréter « vient m’offrant en se courbant » ?... Quoi qu’il en soit, la générosité
(« m’offrant ») de ce lieu est patente [dico] !
2. Circulaire, cette salle de travail a forme parfaite. Elle est devenue le centre de la
maison où bat le coeur de son maître et où s'élaborent ses rêves et ses pensées.
3. « tous mes livres, rangés à cinq degrés, tout à l'environ » → Montaigne est littéralement entouré
de ses livres (comme on se dit parfois « entouré de ses amis »).
4. « cinq degrés » : nombre important de livres, nombre sans doute assez exceptionnel
pour une bibliothèque privée à l’époque.
« Elle a trois vues de
riche et libre prospect
et seize pas de vide
en diamètre. »
Symbolisme potentiel des
« vues » et du « prospect ».
Précision réaliste de la
description : « seize pas de vide en
diamètre ».
Symbolisme potentiel des « vues » et du « prospect » : les livres aussi sont une
ouverture, une « fenêtre » sur le monde, sur l’homme, sur soi-même…
2. Tout le passage sur la librairie, d'un lyrisme fervent [dico, Ferveur] sans affectation
[dico], familier et chaleureux, est caractéristique de Montaigne. « Lyrisme » car
Montaigne veut exprimer et communiquer au lecteur son amour pour les livres et pour
sa librairie.
3. La description de sa librairie tend à en faire un microcosme [dico, surtout sens 2] : la
circularité de la tour est propice à l'enchâssement de ce petit univers des livres dans le
vaste monde que le regard domine par les fenêtres.
« En hiver, j'y suis
moins continuellement
[…] tant pour le fruit
de l'exercice, que
pour reculer de moi la
presse. »
Nous pouvons apprécier les « commodités » (« tant… que » → monter à sa librairie lui
fait faire du sport, « fruit de l’exercice » + il est loin de la foule, « reculer de moi la presse ») que
la position de cette bibliothèque offre à Montaigne, commodités dont la principale est la
jouissance de la solitude et de la liberté.
2. Mais ce lieu présente aussi quelques inconvénients : « En hiver », « n’a point de pièce plus
éventée »… → Souci de Montaigne de ne pas « idéaliser » ce lieu mais de le peindre tel
qu’il est, de le peindre « tout entier et tout nu » (comme il s’est engagé à peindre son moi
dans le préambule) ! De même Montaigne, dans cet extrait, n’idéalise pas ses relations
avec les livres (il existe des inconvénients, le commerce des livres ne répond pas à tous
les besoins) : dans les Essais, Montaigne veut rendre compte de son vécu, de ses
expériences, sans simplifications, sans exagérations, sans idéalisations (approche très
« moderne » de l’écriture autobiographique).
Cette pièce garantit son indépendance (son isolement protecteur) à l'égard de sa
femme (« conjugale »), de sa fille (« filiale ») et de ses concitoyens (« civile »).
. L’antithèse « là » / « par tout ailleurs », la polysyndète, le présentatif « c’est », le possessif
« mon siège », concourent à ériger cette librairie comme le lieu de prédilection de
Montaigne, le lieu où il est réellement et totalement lui-même, libre… et sans doute
heureux.
Il ne s'agit pas d'une vague autonomie, mais de la liberté dans la plénitude de son
exercice (« par tout ailleurs je n'ai qu'une autorité verbale »). Pour être libre, il ne faut dépendre
ni d'autrui
http://www.ffreby.net/Telechargements/Trois_commerces.pdf _________________ Du BREVET AU BAC |
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