DU BREVET AU BAC Préparation au brevet et au bac de français, philosophie et HLP
|
|
|
|
Auteur |
Message |
Prof de français lycée, Intervenant enseignant en français, 1ères S et ES
Age: 64 Inscrit le: 07 Fév 2011 Messages: 1583
|
Sujet: St Exupéry, un mozart assassiné, Terre des hommes Jeu Jan 01, 2015 11:48 pm |
|
|
St Exupéry, Terre des hommes
Il y a quelques années, au cours d’un long voyage en chemin de fer, j’ai voulu visiter la patrie en marche où je m’enfermais pour trois jours, prisonnier pour trois jours de ce bruit de galets roulés par la mer, et je me suis levé. J’ai traversé vers une heure du matin le train dans toute sa longueur. Les sleepings étaient vides. Les voitures de premières étaient vides.
Mais les voitures de troisième abritaient des centaines d’ouvriers polonais congédiés de France et qui regagnaient leur Pologne. Et je remontais les couloirs en enjambant des corps. Je m’arrêtai pour regarder. Debout sous les veilleuses, j’apercevais dans ce wagon sans divisions et qui ressemblait à une chambrée, qui sentait la caserne ou le commissariat, toute une population confuse et barattée par les mouvements du rapide. Tout un peuple enfoncé dans les mauvais songes et qui regagnait sa misère. De grosses têtes rasées roulaient sur le bois des banquettes. Hommes, femmes, enfants, tous se retournaient de droite à gauche, comme attaqués par tous ces bruits, toutes ces secousses qui les menaçaient dans leur oubli. Ils n’avaient point trouvé l’hospitalité d’un bon sommeil.
Et voici qu’ils me semblaient avoir à demi perdu qualité humaine, ballotté d’un bout de l’Europe à l’autre par les courants économiques, arrachés à la petite maison du Nord, au minuscule jardin, aux trois pots de géranium que j’avais remarqués autrefois à la fenêtre des mineurs polonais. Ils n’avaient rassemblé que les ustensiles de cuisine, les couvertures et les rideaux, dans des paquets mal ficelés et crevés de hernies. Mais tout ce qu’ils avaient caressé ou charmé, tout ce qu’ils avaient réussi à apprivoiser en quatre ou cinq années de séjour en France, le chat, le chien et le géranium, ils avaient dû le sacrifier et ils n’emportaient avec eux que ces batteries de cuisine. Un enfant tétait une mère si lasse qu’elle paraissait endormie. La vie se transmettait dans l’absurde et le désordre de ce voyage. Je regardai le père. Un crâne pesant et nu comme une pierre. Le corps plié dans l’inconfortable sommeil, emprisonné dans les vêtements de travail, fait de bosses et de creux. L’homme était pareil à un tas de glaise. Ainsi, la nuit, des épaves qui n’ont plus de forme, pèsent sur les bancs des halles. Et je pensai : le problème ne réside point dans cette misère, dans cette saleté, ni dans cette laideur. Mais ce même homme et cette même femme se sont connus un jour et l’homme a souri sans doute à la femme : il lui a, sans doute, après le travail, apporté des fleurs. Timide et gauche, il tremblait peut-être de se voir dédaigné. Mais la femme, par coquetterie naturelle, la femme sûre de sa grâce, se plaisait peut-être à l’inquiéter. Et l’autre, qui n’est plus aujourd’hui qu’une machine à piocher ou à cogner, éprouvait ainsi dans son cœur l’angoisse délicieuse. Le mystère, c’est qu’ils soient devenus ces paquets de glaise. Dans quel moule terrible ont-ils passé, marqués par lui comme par une machine à emboutir ? Un animal vieilli conserve sa grâce. Pourquoi cette belle argile humaine est-elle abîmée ?
Et je poursuivis mon voyage parmi ce peuple dont le sommeil était trouble comme un mauvais lieu. Il flottait un bruit vague fait de ronflements rauques, de plaintes obscures, du raclement des godillots de ceux qui, brisés d’un côté, essayaient l’autre. Et toujours en sourdine cet intarissable accompagnement de galets retournés par la mer. Je m’assis en face d’un couple. Entre l’homme et la femme, l’enfant, tant bien que mal, avait fait son creux, et il dormait. Mais il se retourna dans le sommeil, et son visage m’apparut sous la veilleuse. Ah ! quel adorable visage ! Il était né de ce couple-là une sorte de fruit doré. Il était né de ces lourdes hardes cette réussite de charme et de grâce. Je me penchai sur ce front lisse, sur cette douce moue des lèvres, et je me dis : voici un visage de musicien, voici Mozart enfant, voici une belle promesse de vie. Les petits princes des légendes n’étaient point différents de lui : protégé, entouré, cultivé, que ne saurait-il devenir ! Quand il naît par mutation dans les jardins une rose nouvelle, voilà tous les jardiniers qui s’émeuvent. On isole la rose, on cultive la rose, on la favorise. Mais il n’est point de jardinier pour les hommes. Mozart enfant sera marqué comme les autres par la machine à emboutir. Mozart fera ses plus hautes joies de musique pourrie, dans la puanteur des cafés-concerts. Mozart est condamné. Et je regagnai mon wagon. Je me disais : ces gens ne souffrent guère de leur sort. Et ce n’est point la charité ici qui me tourmente. Il ne s’agit point de s’attendrir sur une plaie éternellement rouverte. Ceux qui la portent ne la sentent pas. C’est quelque chose comme l’espèce humaine et non l’individu qui est blessé ici, qui est lésé. Je ne crois guère à la pitié. Ce qui me tourmente, c’est le point de vue du jardinier. Ce qui me tourmente, ce n’est point cette misère, dans laquelle, après tout, on s’installe aussi bien que dans la paresse. Des générations d’Orientaux vivent dans la crasse et s’y plaisent. Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point. Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux, ni ces bosses, ni cette laideur. C’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné.
Terre des hommes : explication du titre
la terre des hommes c’est la planète sur laquelle ils vivent et que SaintExupéry, parce qu’il la voit de haut, sait bien qu’elle est l’habitat de toute l’humanité. Mais la terre c’est aussi le matériau dont sont fait les hommes, la glaise qui clôt le livre en référence aux mythes qui expliquent l’apparition de l’homme par la création divine à partir de la terre. Cette glaise si elle n’a pas conscience d’être vit comme une bête. Peut-elle alors porter le nom d’homme ?
La justification du titre :
1. Grammaticale : Le titre « Terre des hommes » est composé d’un groupe nominal qui se décompose en un nom commun suivit d’un complément du nom avec une préposition. Il n’y a pas d’article à « Terre » pour deux raisons possibles : ou l’auteur à voulu parler de la Terre, la planète, qui est unique et donc dans ce cas-là « Terre » est un nom propre ; ou l’auteur a voulu exprimer que les hommes vivent sur une terre (nom commun) unique et que cette terre est donc un exemplaire particulier parmi d’autres semblables.
2. Sémantique : L’auteur, Antoine de Saint-Exupéry, a nommé son livre « Terre des hommes » pour exprimer que nous vivons sur une Terre (ou terre) dont nous nous occupons et donc que son avenir dépend de nous. Mais aussi parce qu’il existe des terres lointaines et inaccessibles que les hommes ont pourtant réussi à apprivoiser malgré les difficultés. Cela symbolise également le progrès et l’avancement dans tous les domaines, technologiques ou politiques.
Problématique
« Pour mériter le nom d’Homme, suffit-il d’avoir conscience d’être ? »
morale du texte : « C’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné ».
L’intérêt des idées, l’intérêt documentaire
La morale humaniste :
Tout revient toujours, dans l’ensemble du roman, à une réflexion sur l’Homme : qu’il s’agisse de l’avion ou du désert, de la solidarité entre camarades. On sent que chaque nouvelle anecdote illustre une morale humaine. Pour Saint-Exupéry, l’Homme est avant tout un être responsable. La responsabilité, c’est d’abord la compassion pour le faible, la honte devant la misère humaine. La morale du héros de Saint-Exupéry s’oppose ici à celle qui méprise celui qui n’a pas la force de s’élever dans la société.
C’est ensuite l’esprit d’équipe, la camaraderie, la conscience de la solidarité entre les Hommes, la conscience d’appartenir à une grande communauté, à une seule et même famille : « (...) il n’est qu’un luxe véritable, et c’est celui des relations humaines. » C’est enfin le respect pour l’individu qu‘il expose. Cette responsabilité, qui fait la grandeur de l’Homme, peut s’exprimer de plusieurs manières : dans la lutte de Guillaumet pour survivre en plein hiver dans les Andes, dans l’inquiétude du jardinier mourant pour les arbres qu’il ne pourra plus tailler, dans le mépris du suicidé.
L’Homme peut ou non exprimer sa grandeur : cela ne dépend pas seulement de lui mais aussi du milieu dans lequel il grandit, de son métier. Lorsque l’Homme n’arrive pas à s’élever, cela devient une catastrophe mondiale : « C’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné. » _________________ Professeur de français, lycée
Intervenant, professeur de français
Dubrevetaubac.fr |
|
|
|
Chez nos partenaires : Voyage
|
|
Page 1 sur 1 |
|
Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets
| |
|
|