DU BREVET AU BAC Préparation au brevet et au bac de français, philosophie et HLP
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Prof de français lycée, Intervenant enseignant en français, 1ères S et ES
Age: 64 Inscrit le: 07 Fév 2011 Messages: 1583
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Sujet: Convaincre, persuader, délibérer, Bac blanc. Sujet corrigé Jeu Déc 17, 2015 3:07 pm |
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CENTRES ÉTRANGERS
SÉRIE ES /S
Objet d'étude : Convaincre, persuader et délibérer.
Textes :
Texte A - PASCAL, Pensées (1670)
Texte B - LA FONTAINE, Fables (1693), "Le Philosophe scythe"
Texte C - VOLTAIRE, Le Mondain (1736)
Texte D - ROUSSEAU, Rêveries du Promeneur solitaire (1776-1778), "Cinquième Promenade".
Texte A - PASCAL, Pensées (1670)
Tous les hommes recherchent d'être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu'ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n'y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté [ne] fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes. Jusqu'à ceux qui vont se pendre.
Et cependant depuis un si grand nombre d'années jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets, nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions. [...]
Qu'est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu'il y a eu autrefois dans l'homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu'il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l'environne, recherchant des choses absentes le secours qu'il n'obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c'est-à-dire que par Dieu même.
Texte B - LA FONTAINE, Fables (1693), "Le Philosophe scythe"
Un Philosophe austère, et né dans la Scythie1,
Se proposant de suivre une plus douce vie,
Voyagea chez les Grecs, et vit en certains lieux
Un sage assez semblable au vieillard de Virgile2,
Homme égalant les Rois, homme approchant des Dieux,
Et, comme ces derniers, satisfait et tranquille.
Son bonheur consistait aux beautés d'un Jardin.
Le Scythe l'y trouva qui, la serpe à la main,
De ses arbres à fruit retranchait l'inutile,
Ébranchait, émondait, ôtait ceci, cela,
Corrigeant partout la Nature,
Excessive à payer ses soins avec usure.
Le Scythe alors lui demanda :
« Pourquoi cette ruine : Était-il d'homme sage
De mutiler ainsi ces pauvres habitants ?
Quittez-moi votre serpe, instrument de dommage;
Laissez agir la faux du Temps :
Ils iront assez tôt border le noir rivage3.
— J'ôte le superflu, dit l'autre, et l'abattant,
Le reste en profite d'autant.»
Le Scythe, retourné dans sa triste demeure,
Prend la serpe à son tour, coupe et taille à toute heure;
Conseille à ses voisins, prescrit à ses amis
Un universel abatis4.
Il ôte de chez lui les branches les plus belles,
Il tronque son Verger contre toute raison,
Sans observer temps ni saison,
Lunes ni vieilles ni nouvelles .
Tout languit et tout meurt. Ce Scythe exprime bien
Un indiscret5 Stoïcien6 :
Celui-ci retranche de l'âme
Désirs et passions, le bon et le mauvais,
Jusqu'aux plus innocents souhaits.
Contre de telles gens, quant à moi, je réclame.
Ils ôtent à nos cœurs le principal ressort;
Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort.
1. Scythie : pays réputé rude au nord de la mer Noire.
2. le vieillard de Virgile : personnage qui cultive son jardin avec bonheur dans les Géorgiques de Virgile, poète latin.
3. il iront aussitôt border le noir rivage : ils mourront bientôt.
4. abatis : abattage.
5. indiscret : qui manque de bon sens.
6. stoïcien : adepte du stoïcisme, philosophie qui préconise l'absence des passions et l'indifférence à tout ce qui affecte la sensibilité.
Texte C - VOLTAIRE, Le Mondain1 (1736)
Regrettera qui veut le bon vieux temps
Et l'âge d'or2, et le règne d'Astrée2,
Et les beaux jours de Saturne et de Rhée2,
Et le jardin de nos premiers parents;
Moi je rends grâce à la nature sage
Qui, pour mon bien, m'a fait naître en cet âge
Tant décrié par nos pauvres docteurs3 :
Ce temps profane est tout fait pour mes mœurs.
J'aime le luxe, et même la mollesse,
Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
La propreté, le goût, les ornements :
Tout honnête homme a de tels sentiments.
Il est bien doux pour mon cœur très immonde
De voir ici l'abondance à la ronde,
Mère des arts et des heureux travaux,
Nous apporter, de sa source féconde,
Et des besoins et des plaisirs nouveaux.
L'or de la terre et les trésors de l'onde,
Leurs habitants et les peuples de l'air,
Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.
Oh ! le bon temps que ce siècle de fer !
Le superflu, chose très nécessaire,
A réuni l'un et l'autre hémisphère.
Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux
Qui du Texel4, de Londres, de Bordeaux,
S'en vont chercher, par un heureux échange,
Ces nouveaux biens, nés aux sources du Gange,
Tandis qu'au loin, vainqueurs des musulmans,
Nos vins de France enivrent les sultans !
Quand la nature était dans son enfance,
Nos bons aïeux vivaient dans l'ignorance,
Ne connaissant ni le tien ni le mien.
Qu'auraient-ils pu connaître ? ils n'avaient rien; [...]
1. "mondain" : au XVIII° siècle, désigne celui qui vit dans son siècle et non pas retiré du monde.
2. "âge d'or, Astrée, Saturne, Rhée" : dans la mythologie, divinités de l'âge d'or; ce dernier désigne l'époque heureuse des débuts de l'humanité, par opposition aux époques suivantes qui marquent une dégradation (âge d'argent, d'airain, de fer.
3. "nos pauvres docteurs" : nos savants, nos érudits.
4. "Texel" : île de Hollande.
Texte D - ROUSSEAU, Rêveries du Promeneur solitaire (1776-1778), "Cinquième Promenade".
De toutes les habitations où j'ai demeuré (et j'en ai eu de charmantes), aucune ne m'a rendu si véritablement heureux et ne m'a laissé de si tendres regrets que l'île de Saint-Pierre au milieu du lac de Bienne. Cette petite île qu'on appelle à Neuchâtel l'île de La Motte est bien peu connue, même en Suisse. Aucun voyageur, que je sache, n'en fait mention. Cependant elle est très agréable et singulièrement située pour le bonheur d'un homme qui aime à se circonscrire1; [...]
Les rives du lac de Bienne sont plus sauvages et romantiques que celles du lac de Genève, parce que les rochers et les bois y bordent l'eau de plus près, mais elles ne sont pas moins riantes. S'il y a moins de culture de champs et de vignes, moins de villes et de maisons, il y aussi plus de verdure naturelle, plus de prairies, d'asiles ombragés de bocages, des contrastes plus fréquents et des accidents2 plus rapprochés. Comme il n'y a pas sur ces heureux bords de grandes routes commodes pour les voitures, le pays est peu fréquenté par les voyageurs, mais il est intéressant pour des contemplatifs solitaires qui aiment à s'enivrer à loisir des charmes de la nature, et à se recueillir dans un silence que ne trouble aucun autre bruit que le cri des aigles, le ramage entrecoupé de quelques oiseaux, et le roulement des torrents qui tombent de la montagne ! [...]
On ne m'a laissé passer guère que deux mois dans cette île, mais j'y aurais passé deux ans, deux siècles et toute l'éternité sans m'y ennuyer un moment, quoique je n'y eusse, avec ma compagne, d'autre société que celle du receveur, de sa femme et de ses domestiques, qui tous étaient à la vérité de très bonnes gens et rien de plus, mais c'était précisément ce qu'il me fallait. Je compte ces deux mois pour le temps le plus heureux de ma vie et tellement heureux qu'il m'eût suffi durant toute mon existence sans laisser naître un seul instant dans mon âme le désir d'un autre état.
1. se circonscrire : se limiter.
2. accidents : mouvements, déformations de terrain.
I. QUESTION (4 points) :
De quoi chacun des auteurs fait-il dépendre le bonheur ? Nommez et interprétez pour chaque texte un procédé différent au service de l'argumentation
CORRIGÉ DE LA QUESTION
• « Le bonheur humain : un concept différent chez Pascal, Voltaire, Rousseau et La Fontaine.
• Pascal, être heureux = combler un manque et tenter d'y remédier. Cela signifie combler l'impuissance de l'homme. Mais l'homme ne peut y parvenir durant sa vie terrestre car c'est par "l'infini et l'immuable", donc "Dieu" que l'homme peut seulement s'élever au bonheur = par la religion + foi
Convaincre le lecteur = raisonnement scientifique, structuré, construit avec des connecteurs logiques en paragraphes et généralisations.
• La Fontaine = conception du bonheur terrestre :
Bonheur dans un jardin qui est cultivé, notions grecques de la juste mesure tant dans les paroles que dans les actions. C'est la philosophie épicurienne = bonheur simple et terrestre.
Le moyen utilisé par le fabuliste est la fable, l'apologue, un récit suivi d'une morale
le philosophe scythe insatisfait = le manque de discernement et l’excès
le grec = il représente le bonheur
• Voltaire = sa conception est aussi épicurienne, "les plaisirs", "le paradis terrestre", une civilisation qui permet à l'homme d'avoir un confort de vie, du luxe et un commerce. Conception donc plus matérialiste qui s'oppose à Pascal et à La Fontaine car elle est plus superflue de part son abondance.
Le moyen utilisé par Voltaire = il blâme l'âge d'or pour faire l'éloge du siècle de fer et de son abondance;
• Rousseau = bonheur terrestre. Il s'oppose à Voltaire car il propose la solitude dans la nature sauvage = il s'éloigne de la civilisation.
« rochers », « bois » « eau », « verdure naturelle », « torrents »
« contemplatif solitaire ».
Evocation de l'île Saint Pierre" = un éloge, lyrisme.
II. ÉCRITURE (16 points) :
⦁ Commentaire
Vous commenterez le texte de Voltaire (texte C).
⦁ Dissertation
Lorsqu'on aborde des notions abstraites ou morales, quelles stratégies vous semblent les plus efficaces pour emporter l'adhésion du lecteur ?
Vous répondrez à cette question en un développement composé, en prenant appui sur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés en classe et sur vos lectures personnelles.
⦁ Invention
Vous composerez un dialogue argumentatif dans lequel deux interlocuteurs défendent leur conception du bonheur. Vous veillerez à ce que chaque interlocuteur prenne en compte tour à tour les arguments de l'autre.
Corrigé du commentaire
I - Le blâme du bonheur simple
1 - dénonciation du mythe de l'âge d'or
2 - simplicité primitive et ignorance
3 - un ton provocateur
II - l'honnête homme et le mondain
1 - une volonté de persuader
2 - L'éloge du plaisir
3 - le lyrisme
I -
1 -
v.1-4 ; v. 30-34.
– mythe de l’« âge d’or », références aux divinités
- Référence au "jardin" d'Eden
= Harmonie, simplicité
« jardin », « nature », « beaux jours »
– vocabulaire simple de la famille : « parents », « enfance », « aïeux ».
But pour Voltaire est de dénoncer le mythe de l'âge d'or, sa simplicité trompeuse.
2 -
- Simplicité primitive = ignorance
On regrette le passé "vieux temps"
Cette vision est pessimiste
Il faut une société organisée pour que la vertu existe
3-
Ton moqueur
Ironie "bon vieux temps" = une antiphrase = dire le contraire de ce que l'on pense.
II -
1 -
Définition de mondain
Définition de "honnête homme" :
homme de la société poli, cultivé et civilisé
L'honnête homme est un homme qui pratique la juste mesure nécessaire pour atteindre le bonheur. Juste mesure et modération sont deux valeurs essentielles. Position paradoxale empruntée par Voltaire pour mieux persuader le lecteur.
2 -
Eloge des plaisirs
Bonheur terrestre dans le moment présent qui s'oppose aux conceptions religieuses, chrétiennes et paiennes : confort matériel, biens.....
Un bonheur collectif "tout sert au luxe"....; Confort = conception matérialiste qui créé de nouveaux besoins, les arts sont créés par des besoins à satisfaire
Civilisation = chaîne de nouveaux plaisirs. L'homme domestique le monde qu'il tente de conquérir
3 -
Le lyrisme traduit l'enthousiasme, nous notons la présence d'hyperboles et de métaphores, images clichés également comme :
« source féconde », « l’or de la terre », ainsi que des périphrases, "les peuples de l'air" pour dire les oiseaux. Le rythme est léger, les rimes faciles, le style oral avec des exclamations et interjections ainsi que des amplifications "l'un et l'autre hémisphère".
Conclusion
• Ce texte de Voltaire est une apologie de la civilisation, c'est un passage moderne et un peu provocateur. Il s'oppose à la philosophie de Candide, "il faut cultiver son jardin".
CORRIGÉ DE LA DISSERTATION
Voici un plan détaillé dans lequel vous pouvez changer les exemples en fonction de votre expérience personnelle et à partir duquel vous pouvez vous exercer à rédiger quelques parties du devoir.
Introduction
Amorce :
« Moi, j’écris pour agir » (Voltaire)
« As-tu oublié que ton libérateur,
C’est le Livre ? » (Hugo)
« Les livres nous aident à voir, à agir, à vivre » (Claude Roy)
À presque tous les siècles, importance et rôle de la littérature dans l’évolution des idées et des sensibilités des sociétés humaines. Beaucoup d’oeuvres au service de la libération de l’homme dans des luttes concrètes – politiques ou sociales . mise en forme, travail sur le langage et ses procédés, marque d’un texte « littéraire ».
Sujet à traiter : quelles stratégies privilégier pour emporter l’adhésion de son auditoire ?
Problématique : quel rôle pour la littérature dans la soutenance d’une thèse, l’expression d’une opinion ; dans la lutte sociale, politique et philosophique quelle diversité et quelle efficacité des moyens littéraires mis en oeuvre pour
défendre une cause ?
Mise en forme tributaire de choix de stratégie argumentative : convaincre ou persuader ?
Annonce du plan : I. Quelle littérature pour convaincre ? ; II. Quelle littérature pour persuader ? III. Mais un choix est-il possible ? Chacune a ses avantages : il faut tenir compte de certains paramètres : chaque stratégie a
ses limites et, dans le choix, entrent plusieurs facteurs.
I. Quelle littérature pour convaincre ? dans quel contexte ? Convaincre par des arguments.
1. La diversité des genres à « arguments » propres à convaincre
Pour convaincre, de préférence le genre de l’essai, du traité ou du discours ? Ils se prêtent à l’examen méthodique et didactique d’une notion, à l’exposé d’une thèse ; titre en général clair.
a. Les essais
• Variété des domaines (historique, économique, moral, scientifique…).
• Présence de l’auteur, très engagé pour plaider sa thèse (exemples).
b. Les traités
• Variété des domaines (comme pour l’essai)…
• … mais en plus, volonté d’exhaustivité, objectivité (De l’esprit des lois de Montesquieu, Émile de Rousseau, et autres exemples).
c. Les dialogues
• Façon de confronter ses idées dans la vie courante…
• … en littérature, dialogue fictif philosophique, populaire au XVIIIe siècle (Platon ; Diderot, Le Neveu de Rameau…).
d. Les discours
• Ils supposent un destinataire collectif et de l’éloquence.
2. La force et les atouts des genres à « arguments » pour convaincre
a. Clarté, précision et rigueur logique
• Des thèses, des arguments exposés au premier degré.
• Une méthode déductive (exemple).
Exemples : XVIIe : Descartes et Pascal . démarche inspirée par les raisonnements mathématiques (réseau de causes, de conséquences, de concessions, d’oppositions…, pour l’argument du pari).
Forme privilégiée au XVIIIe, questions philosophiques, morales, politiques : Les Pensées de Pascal, L’Émile ou De l’éducation de Rousseau, De l’esprit des lois de Montesquieu, Traité de la tolérance de Voltaire.
XXe siècle : Camus (Réflexion sur la guillotine)…
. Tout cela limite ou même empêche les risques d’erreur d’interprétation de la part du lecteur.
b. Une structure rigoureuse…
• Solidité et logique de la « séquence ». « Thèse / argument(s) / exemple(s).
c. … et une exhaustivité…
L’auteur cherche :
• à être complet, à couvrir la totalité de son sujet (exemples) ;
• à présenter le sujet selon plusieurs perspectives.
d.… qui n’excluent pas l’implication de l’auteur
• La présentation à partir d’arguments n’interdit pas à l’auteur de laisser voir sa subjectivité et donc d’ajouter une dimension personnelle à son argumentation.
• Ce qui peut renforcer l’intérêt du lecteur, provoquer ses réactions (hostiles ou favorables) (exemples).
Plutôt dans une époque de raison (voir au XVIIIe siècle, ou au XXe siècle : esprit rigoureux, logique), et pour un public sensible au raisonnement, aux abstractions. Alors la littérature peut « expliquer », « raisonner ».
Transition : Argumenter, c’est s’adapter à son interlocuteur, tenir compte de sa dualité d’être de raison et d’émotion : recours à des moyens supplémentaires ou autres pour parler à l’imagination de son lecteur.
II. Quelle littérature pour persuader ? dans quel contexte ?
Dans « Le pouvoir des fables », fable de La Fontaine (VIII, 4), un orateur, dans l’Antiquité, essaie de retenir l’attention de son auditoire en multipliant les arguments. Peine perdue ! En leur racontant une histoire, il se fait écouter…
Persuader : agir sur la sensibilité du lecteur ou du public. Pour cela, plusieurs genres et registres.
1. La diversité des genres propres à persuader
a. Les récits de l’apologue pour persuader ; les diverses formes de l’apologue
• Point commun aux apologues : « un récit » (ou une histoire) : le corps du texte et « une morale » : « l’âme » du texte (L’apologue est composé de deux parties, dont on peut appeler l’une le Corps, l’autre l’Âme. Le corps est la fable, l’âme la moralité (préface des Fables).
• Les fables – avec leurs récits remplis d’animaux, d’objets, de végétaux qui se conduisent comme des hommes, composent un monde merveilleux et en même temps réaliste (exemples).
La variété des fables, instrument de satire sociale.
La théâtralité des fables au service d’intentions didactiques et satiriques.
Exemple : La Fontaine montre les travers humains, instrument de satire sociale et politique : Obsèques de la Lionne.
Variété des personnages, vivacité du récit, à l’issue duquel on mesure la cause défendue.
• Les contes philosophiques : récits fictifs, souvent plaisants, action mouvementée avec leçon morale ou philosophique. En divertissant et séduisant, ils abordent des sujets plus sérieux et plus abstraits que ne le laissent attendre leur légèreté et leur fantaisie. Pour soutenir l’intérêt du lecteur et ne pas l’ennuyer, récit sur un rythme allègre et registres variés.
Exemple : XVIIIe siècle : Voltaire (Candide, Zadig).
• Les utopies : description d’un monde idéal qui sert de repoussoir à notre monde, société qu’il critique (exemples).
b. Le dialogue mis en scène
• Le théâtre : cadre idéal à l’argumentation avec dialogue d’idées, vivacité.
Exemples : Marivaux (L’Île des esclaves : une utopie sur scène) ou Beaumarchais : satire du monde politique ou social, donnent la parole aux « opprimés » (femmes, domestiques, esclaves) ; Ruy Blas de Hugo (le peuple opprimé) ; Ubu Roi d’Alfred Jarry ; La guerre de Troie n’aura pas lieu : dialogue qui développe les thèses sur la guerre (Andromaque et sa
défense de la paix) à plaidoyer émouvant.
– Pour Hugo : « Le théâtre est une tribune », l’« histoire » de héros au service des idées libérales de Hugo en faveur du peuple (Ruy Blas).
La force persuasive du théâtre tient à deux facteurs : une réception collective (public), donc une large diffusion, et des idées incarnées par les personnages (acteurs), véritables interprètes de l’auteur.
• Dialogues . débats contestataires (ex. : Fontenelle : Dialogue des morts).
c. La force de la poésie
• C’est par les images et son lyrisme que la poésie, « arme chargée de futur », persuade le lecteur.
Exemples : lyrisme dramatique de Chansons des rues et des bois de Hugo (« Depuis six mille ans la guerre… ») ; tableau épique, sonore et coloré, de la guerre dans « Le Mal » de Rimbaud.
d. L’impact du roman
• Les romanciers font réagir par leur peinture du monde, concrète, qui a autant d’impact que de grands discours.
Exemples : le roman à portée sociale : description de la misère des mineurs par Zola dans Germinal. Humour, fantaisie de Rabelais pour défendre sa conception de l’éducation.
2. La force et les atouts des genres qui persuadent
a. La vivacité d’un récit
• Fait appel au goût pour les histoires : on s’intéresse aux personnages, aux rebondissements, à l’action (exemples).
« Au moment où je fais cette moralité,
Si Peau d’Âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême » (« Le Pouvoir des fables », VIII, 4)
• Touche un large public, lecteurs ou spectateurs de tous âges (les fables – quoi qu’en pense Rousseau –, sont idéales pour les enfants… et les adultes !).
• Permet l’évasion dans d’autres mondes (Eldorado dans Candide).
• Admet le merveilleux (exemples de contes).
• La multiplicité des registres possibles : humour, pathétique, … (exemples).
• Évite le discours théorique ou le limite au minimum ; pas de ton didactique apparent (exemples).
• Au théâtre, la fiction du récit s’impose avec force au spectateur (illusion théâtrale).
• Fait appel aux émotions, à l’affectivité (on s’attache aux personnages).
. Tout cela est plus propre à persuader qu’à convaincre.
b. Le type de « raisonnement » qu’implique le recours au récit : la démarche inductive
De l’exemple à la généralisation, du concret à l’abstrait : la vertu de l’exemple.
• Parle à l’imagination avant de parler à l’esprit.
• Le lecteur suit l’histoire sans penser à la morale : il se laisse entraîner et surprendre par la logique du raisonnement (inductif).
• Il oblige le lecteur à un effort d’interprétation : il doit réfléchir pour « traduire » le récit (exemples).
• Lorsqu’il est critique, on admet aisément la critique dans un autre monde : la transposition dans notre monde nous est imposée (notamment dans le recours à l’utopie).
• Il sert de masque pour se défendre de la censure.
. On a donc vu que chaque auteur choisit le genre, le registre, les procédés qu’il pense les plus aptes à convaincre ou persuader.
III. Quelle stratégie choisir ?
1. Chacune de ces stratégies n’a-t-elle pas des limites ?
a. Les limites des textes à « arguments » pour convaincre
• Les traités et même les essais sont parfois bien arides, voire indigestes.
• Ils réclament un public averti, cultivé et donc touchent un lectorat limité.
b. Les limites du récit ou de « l’histoire » et de la poésie pour persuader
• Simplification excessive par le récit allégorique d’une réalité complexe.
• Risque d’interprétation erronée du récit ou de la pièce (dans le cas du théâtre) par un lecteur peu averti (enfant, par exemple ; cf. les réserves de Rousseau qui pense que les fables ne conviennent pas aux enfants et qu’elles sont amorales : ils admirent le Renard qui trompe le Corbeau, ou approuvent la Fourmi qui repousse la Cigale).
• Séduction excessive du récit qui fait passer la « morale » à l’arrière-plan ou même l’occulte complètement.
c. La difficulté à « interpréter » dans certaines stratégies
• Difficulté à « interpréter », notamment la poésie.
• Difficulté à saisir l’implicite et l’ironie.
– Implicite et humour parfois difficiles à saisir.
Exemple : les fables. Rousseau met en garde contre la lecture par les enfants des fables de La Fontaine : morale implicite . souvent mal interprétée par l’enfant (qui ne tire pas la « bonne » leçon).
– L’ironie demande recul et expression.
Exemple : ironie des textes du XVIIIe siècle (« De l’esclavage des Nègres », dans De l’esprit des lois ; Montesquieu feint d’y prendre le point de vue d’un esclavagiste).
2. Un choix qui dépend de certains facteurs
Cependant, l’efficacité des textes littéraires ne dépend-elle pas de certaines conditions ?
Lecture : activité isolée . difficulté pour apprécier l’impact d’un texte sur un individu.
Pour être efficace, tenir compte de certains paramètres.
a. Tenir compte des spécificités des genres et des conditions d’écriture et de réception
• Le public que l’on vise à une époque donnée
– Nécessité d’adapter le genre et le registre au public visé, aux circonstances de réception. Jeune public ? tout public ? public « spécialisé » ? Pour chaque public, une stratégie différente pour convaincre.
Exemple : même mise en scène du Mariage de Figaro accueillie et comprise différemment par un public d’adolescents sans expérience du théâtre, en matinée scolaire, et par un public adulte d’abonnés aux soirées de spectacles.
– À chaque époque, une sensibilité différente : le XVIIIe siècle, brillant, léger, apprécie les démonstrations indirectes et ironiques des contes philosophiques ; la fin du XIXe siècle, scientiste et positiviste, se reconnaît dans des
essais fouillés et argumentés.
Exemple : Voltaire et son choix des contes philosophiques, mieux adaptés à un public diversifié.
• La personnalité de l’auteur
– Un auteur fantaisiste, ayant le goût d’une certaine créativité prendra plaisir à convaincre par « une histoire ».
– Un écrivain plus grave, plus soucieux de donner de lui l’image d’un penseur sérieux, préférera argumenter.
b. Pour être écouté, compris et suivi, un auteur peut jouer sur les deux tableaux
La plupart des oeuvres les plus efficaces recourent aux deux « méthodes ».
• Montesquieu est l’auteur des Lettres persanes (roman épistolaire fictif qui fait la satire humoristique des moeurs mais aussi du pouvoir politique et religieux de son temps) et de De l’esprit des lois, traité de sociologie et de
philosophie politiques.
• Les philosophes du XXe siècle, Sartre et Camus, développent leurs idées dans des essais très argumentés mais relativement ardus – mais ils mettent aussi leurs idées en scène dans des pièces vues par un large public : Les Mouches et Huis clos (Sartre), Caligula et Les Justes (Camus).
Conclusion
Convaincre, persuader… un phénomène au coeur des rapports humains, qui consiste à ne pas forcer ou obliger, mais à obtenir l’adhésion, l’accord de son interlocuteur.
Une telle importance que dans l’Antiquité, une grande partie de l’éducation était consacrée aux techniques rhétoriques : le jeune qui voulait faire carrière dans le politique, exercer des responsabilités dans la cité, devait maîtriser toutes les techniques les plus variées de l’art oratoire et de la persuasion, en recourant aussi bien aux « histoires » qu’aux arguments directs. Il en va de même de nos jours.
CORRIGÉ DE L’ÉCRITURE D’INVENTION
Voici le texte d’un auteur qui a traité ce sujet avant l’heure et aurait eu une
bonne note.
MARIE STUART, DAVID RICCIO.
(Sur le bonheur)
DAVID RICCIO (Ou Rizzio). – Fils d’un ménétrier, né à Turin, au commencement
du XVIe siècle. Quoiqu’il fût laid et bossu, sa belle voix et son talent de harpiste
lui valurent les bonnes grâces de Marie Stuart qui le prit pour
secrétaire. Darnley, époux de la reine, en prit ombrage et le fit égorger dans
l’appartement et sous les yeux mêmes de Marie (1566).
DAVID RICCIO. – Non, je ne me consolerai jamais de ma mort.
MARIE STUART. – II me semble cependant qu’elle fut assez belle pour un
musicien. Il fallut que les principaux seigneurs de la cour d’Écosse et le roi
mon mari même, conspirassent contre toi ; et l’on n’a jamais pris de
mesures ni fait plus de façon pour faire mourir aucun prince.
DAVID RICCIO. – Une mort si magnifique n’était point faite pour un misérable
joueur de luth, que la pauvreté avait envoyé d’Italie en Écosse. Il eût mieux
valu que vous m’eussiez laissé passer doucement mes jours à votre
musique que de m’élever dans un rang de ministre d’État, qui a sans doute
abrégé ma vie.
MARIE STUART. – Je n’eusse jamais cru te trouver si peu sensible aux grâces
que je t’ai faites. Était-ce une légère distinction que de te recevoir, tous les
jours, seul à ma table ? Crois-moi, Riccio, une faveur de cette nature ne
faisait point de tort à ta réputation.
DAVID RICCIO. – Elle ne me fit point d’autre tort, sinon qu’il fallut mourir pour
l’avoir reçue trop souvent. Hélas ! je dînais tête-à-tête avec vous comme à
l’ordinaire, lorsque je vis entrer le roi accompagné de celui qui avait été
choisi pour être un de mes meurtriers, parce que c’était le plus affreux
Écossais qui ait jamais été et qu’une longue fièvre quarte, dont il relevait,
l’avait encore rendu plus effroyable. Je ne sais s’il me donna quelques
coups ; mais, autant qu’il m’en souvient, je mourus de la seule frayeur que
sa vue me fit.
MARIE STUART. – J’ai rendu tant d’honneur à ta mémoire que je t’ai fait mettre
dans le tombeau des rois d’Écosse.
DAVID RICCIO. – Je suis dans le tombeau des rois d’Écosse ?
MARIE STUART. – Il n’est rien de plus vrai.
DAVID RICCIO. – J’ai si peu senti le bien que cela m’a fait que vous m’en
apprenez maintenant la première nouvelle. Ô mon luth ! Faut-il que je t’aie
quitté pour m’amuser à gouverner un royaume !
MARIE STUART. – Tu te plains ? Songe que ma mort a été mille fois plus malheureuse que la tienne.
DAVID RICCIO. – Oh ! vous étiez née dans une condition sujette à de grands
revers ; mais, moi, j’étais né pour mourir dans mon lit. La nature m’avait mis
dans la meilleure situation du monde pour cela : point de bien, beaucoup
d’obscurité, un peu de voix seulement, et de génie pour jouer du luth.
MARIE STUART. – Ton luth te tient toujours à coeur. Eh bien ! tu as eu un
méchant moment ; mais combien as-tu eu auparavant de journées agréables.
Qu’eusses-tu fait, si tu n’eusses jamais été que musicien ? Tu te serais
bien ennuyé, dans une fortune si médiocre.
DAVID RICCIO. – J’eusse cherché mon bonheur dans moi-même.
MARIE STUART. – Va, tu es fou. Tu t’es gâté, depuis la mort, par des réflexions
oisives ou par le commerce que tu as eu avec les philosophes qui sont ici.
C’est bien aux hommes à avoir leur bonheur dans eux-mêmes !
DAVID RICCIO. – Il ne leur manque que d’en être persuadés. Un poète de mon
pays a décrit un château enchanté, où des amants et des amantes se cherchent
sans cesse avec beaucoup d’empressement et d’inquiétude, se
rencontrent à chaque moment, et ne se reconnaissent jamais. Il y a un
charme de la même nature sur le bonheur des hommes ; il est dans leurs
propres pensées, mais ils n’en savent rien ; il se présente mille fois à eux, et
ils le vont chercher bien loin.
MARIE STUART. – Laisse là le jargon et les chimères des philosophes. Lorsque
rien ne contribue à nous rendre heureux, sommes-nous d’humeur à prendre
la peine de l’être par notre raison ?
DAVID RICCIO. – Le bonheur méritait pourtant bien qu’on prît cette peine-là.
MARIE STUART. – On la prendrait inutilement, il ne saurait s’accorder avec
elle ; on cesse d’être heureux sitôt que l’on sent l’effort que l’on fait pour
l’être. Si quelqu’un sentait les parties de son corps travailler pour s’entretenir
dans une bonne disposition, croiriez-vous qu’il se portât bien ? Moi, je
tiendrais qu’il serait malade. Le bonheur est comme la santé, il faut qu’il soit
dans les hommes sans qu’ils l’y mettent ; et, s’il y a un bonheur que la
raison produise, il ressemble à ces santés qui ne se soutiennent qu’à force
de remèdes, et qui sont toujours très faibles et très incertaines.
FONTENELLE, Le Dialogue des morts, 1683. _________________ Professeur de français, lycée
Intervenant, professeur de français
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