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 DU BREVET AU BAC :: CONVAINCRE, PERSUADER, DELIBERER :: l'évolution de la fable, d'Esope à Orwell

l'évolution de la fable, d'Esope à Orwell

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MessageSujet: l'évolution de la fable, d'Esope à Orwell  Posté leJeu Jan 13, 2011 11:54 pm Répondre en citant

Argumenter, la fable


Les fables étudiées sont :

Ésope,
« Le Corbeau et le Renard » ➜
Phèdre,
« Le Corbeau et le Renard »

`La Fontaine, Fables,
« La Laitière et le Pot au lait » ➜
La Fontaine,
« Le Curé et le Mort

La Fontaine,
« Les Obsèques de la Lionne »

Florian, Fables,
« La fable et la vérité »

Corbière, Les Amours jaunes,
« Le poète et la cigale »

Anouilh, « La cigale »
Orwell,
La Ferme des animaux



La séquence suit une démarche historique visant
à montrer les métamorphoses du genre de la fable.


Celle-ci se présente chez Ésope sous la forme d’un
récit en prose dépouillé, extrêmement stylisé et animé
d’une visée didactique affirmée. Avec La Fontaine, le
genre s’enrichit : la narration est davantage développée,
agrémentée de notations pittoresques, les personnages
prennent une épaisseur psychologique nouvelle et
sont ancrés dans une réalité quotidienne et sociale ; la
morale gagne en profondeur humaine et s’élargit en une
observation morale et philosophique. Avec son recueil,
Florian nous a paru marquer un aboutissement : il se
pose en héritier de La Fontaine et marque la fin de
l’époque classique de la fable.
Le choix de Corbière, Anouilh et Orwell témoigne
de la diversification du genre à partir du xixe siècle,
si ce dernier s’inspire encore des modèles antérieurs,
notamment des personnages habituels de la fable,
il revêt des formes variées : poème – dédicace chez
le premier, recueil en vers chez le second, tous deux
conservant la forme brève caractéristique du genre ;
prose narrative beaucoup plus longue chez l’auteur
de 1984 : la fable se présente en effet cette fois sous la
forme d’une nouvelle.
Enfin, la séquence a voulu mettre en valeur outre le
renouvellement permanent d’une forme narrative, le
jeu de l’intertextualité entre les textes et les variations
ludiques sur le code narratif : la fable moderne est
en effet volontiers parodique et ironique. Du même
coup, c’est sa visée didactique originelle qui est mise
en question et transgressée. Avec Anouilh et Orwell,
« le récit enjoué » et plaisant défendu par La Fontaine
perd sa grâce et sa dimension ludique au profit d’une
intention polémique qui se mue en règlement de
comptes : charge en règle contre le milieu artistique
chez Anouilh, dénonciation virulente des cochons
staliniens chez Orwell.



La fable : les métamorphoses du genre
Aux sources de la fable


Ésope,
« Le Corbeau et le Renard » ➜
Phèdre,
« Le Corbeau et le Renard »


Les modifications introduites
par La Fontaine
– ellipse sur les circonstances du larcin ;
– large place accordée au style direct qui anime le
récit ;
– longue tirade élogieuse du renard, maître ès langage
(6 vers, soit le tiers de la fable) ;
– développement de la morale (plus de 3 vers), celle-ci est
énoncée par le renard, le fabuliste se tenant en retrait ;
– modification du contenu de la morale, celle-ci est une
mise en garde à l’encontre des flatteurs, absente chez
Ésope, mentionnée au début de la version de Phèdre ;
– La Fontaine termine sa fable sur les regrets du corbeau
qui tire la leçon de l’aventure ;
– la versification et la variété des types de vers employés
(décasyllabes, octosyllabes, alexandrins pour marquer
l’apogée de l’éloge) ;
– registre humoristique, fantaisie qui tranche avec le
sérieux des fabulistes antiques.

La fable classique

`La Fontaine, Fables,
« La Laitière et le Pot au lait » ➜
La Fontaine,
« Le Curé et le Mort



« La Laitière et le Pot au lait »


1. La fable se décompose en deux temps
fortement
marqués : le récit proprement dit (les 29 premiers
vers), une morale longuement développée (14 vers).
Le récit est construit comme un petit drame, comporte
trois actes et un bref épilogue de deux vers.
Vers 1 à 11 : présentation de Perrette (un portrait à
l’imparfait brosse son apparence vestimentaire, le mobile
de son voyage et ses pensées à compter du vers Cool.
Vers 12 à 21 : on passe de la description du personnage
au discours direct qui restitue, dans un monologue
intérieur, les rêves d’enrichissement de Perrette.
Vers 22 à 27 : retour au récit avec le présent de
narration pour conter la chute de la laitière et son retour.
C’est le troisième acte de ce petit drame campagnard.
Deux vers (28 et 29) évoquent au passé simple le
passage de l’événement à son immortalisation en farce.

2. La rêverie de Perrette est amorcée au vers 8,
lelecteur y entre progressivement par le truchement
d’un narrateur omniscient, qui décrit les pensées de
l’héroïne. Celle-ci, en paysanne avisée et ambitieuse,
fait déjà ses comptes. La progression de la rêverie est
triplement marquée :
– par le passage au style direct qui introduit le lecteur
dans le monologue intérieur de Perrette ;
– lexicalement par les transformations successives du
produit de la vente du lait : argent, cent d’oeufs, triple
couvée qui donne naissance aux poulets, lesquels
revendus permettront l’achat d’un cochon qui, une fois
revendu, permettra d’acheter une vache et son veau ;
– par les temps verbaux : la rêverie commence au
présent (« il m’est facile », v. 12) qui l’actualise ; avec
le futur « coûtera » (v. 16), la jeune femme se projette
dans l’avenir ; l’imparfait du vers suivant et le passé
simple (« quand je l’eus », v. 17) reflètent la confusion
de l’imaginaire et du réel, le porc est devenu réalité, les
trois futurs qui suivent (« j’aurai », « m’empêchera »,
« verrai », v. 18-20) ont ici valeur de certitude et reflètent
l’assurance du personnage qui balaie tous les obstacles.
L’emploi de « verrai » marque ainsi le point culminant
de l’illusion et conduit Perrette à mimer physiquement
les gambades du veau (reprise du verbe « sauter », v. 21-
22, pour l’animal et la jeune femme).

3. La tonalité dominante est ici l’humour teinté d’ironie.
Le mot « farce » (v. 2Cool renvoie le récit au registre du
comique. Tout concourt ici à tonalité humoristique :
– le rythme allègre des premiers vers reflète l’entrain
du personnage : alternance de l’alexandrin et de
l’octosyllabe, alexandrins coupés à l’hémistiche qui
miment le pas vif de Perrette et son impatience (1, 3,
4, 5), tout comme les octosyllabes eux-mêmes répartis
selon un rythme 4/4. La rapidité de ses calculs, l’envol
de l’imagination sont suggérés encore par le rythme
6/6 des vers 9 à 11 ;
– l’alacrité de ce début est soulignée par le lexique qui
décrit la hâte de la laitière : « allait à grands pas » (v. 4),
« agile » (v. 5), « diligent » (v. 11), l’adverbe « déjà »
(v. Cool est une trace d’ironie à l’égard de la jeune femme
qui vend la peau de l’ours avant de l’avoir tué. On
remarquera l’utilisation progressive de l’alexandrin
dans le monologue qui accompagne l’envolée du rêve,
la perte de contact avec le réel et le contraste brutal avec
la réalité marqué par les octosyllabes des vers 25 à 29 ;
– « Prétendait » (v. 3) dénonce ironiquement l’illusion
du personnage ;
– les termes désignant la laitière : le prénom, courant à
l’époque de La Fontaine (c’est en outre un aphoristique
familier qui installe une proximité avec le personnage),
le possessif « notre » (v. 7) employé par le narrateur pour
désigner son personnage, la périphrase emphatique,
amusante, « la dame de ces biens » (v. 24), et la chute
(« en grand danger d’être battue », v. 27) relève de la
farce ;
– on notera l’énumération célèbre, devenue quasi
proverbiale du vers 23, qui reprend en sens inverse les
étapes successives du rêve et ramène ironiquement
Perrette à son point de départ.

« Le Curé et le Mort »

4. Comme dans la fable précédente, une composition
classique avec d’abord le récit, puis une brève morale
de trois vers. Le récit proprement dit comporte trois
étapes, c’est un petit drame en trois actes :
– d’abord, du début au vers 14, la présentation des
personnages et de la situation, un convoi funèbre.
Description conduite à l’imparfait ;
– puis, passage au discours direct, entrecoupé de brefs
fragments de récit (vers 18 à 20 et 24, 25) qui introduit
le lecteur dans les pensées surprenantes d’un curé
attaché aux biens de ce monde ;
– le vers 29 amène le dénouement, le présent souligne
la rupture (« un heurt survient », v. 30) et la rapidité
du drame mis en relief par les verbes de mouvement
(« entraîne », v. 33, « suit », v. 34, « s’en vont », v. 35).
Ironiquement, le fabuliste oppose puis lie le sort de ses
deux personnages. D’abord, par la construction :
– les quatorze premiers vers alternent en effet
évocation du mort, évocation du curé en soulignant
le contraste (les deux premiers vers évoquent le mort,
les deux suivants le curé ; si la reprise de « s’en allait »
rapproche les deux personnages, la rime « tristement »/
« gaiement » les oppose) ;
– cinq vers ensuite décrivent le mort dans son
cercueil ;
– les cinq vers suivants, le curé qui égrène ses prières.
Tous deux sont dans le même carrosse (« le Pasteur
était à côté », v. 10). Avec le vers 33, les rôles s’inversent,
cette fois c’est le mort qui emmène le curé et tous deux
sont réunis dans le dernier vers, réunion soulignée
par la redondance « tous deux », « de compagnie ».
On notera le chiasme des vers 33 et 34 et la rime
« pasteur »/« seigneur », qui montre que leur destin est
indissolublement lié. « S’en vont » fait écho au verbe
« s’en allait » dans les deux premiers vers mais cette
fois le verbe a changé de sens, passant du propre au
figuré à la faveur d’un euphémisme qui désigne la mort.
La précision sur la cause de la mort du prêtre (v. 32)
apparaît comme une revanche du mort.

5. Une satire ironique du clergé
est présente dès le début : empressement du curé (« au plus vite », v. 4),gaieté déplacée qui témoigne de l’indifférence routinière
de ce dernier, prières expédiées machinalement
comme le suggère l’énumération de celles-ci (v. 12-
14) et la répétition de « et », le curé reste extérieur
à l’événement, c’est pour lui un simple travail, une
corvée « ordinaire ». L’emploi de « pasteur », terme aux
connotations bibliques (parabole du bon pasteur dans
le Nouveau Testament) s’applique ici ironiquement
au personnage. Le mot « salaire » (v. 17) désignant les
prières les désacralisent (le curé rembourse en prières le
prix payé pour l’enterrement, et la formule « on vous en
donnera », v. 16, est une manière triviale de considérer
les prières). Pour lui, le mort est un « trésor », on
relèvera à ce propos l’humour noir de la rime (« mort »/
« trésor », v. 18-19) ; de même, le verbe « couvait » est
imagé et insiste sur les précautions du curé qui sait qu’il
tient un bon filon : le mort était riche, comme le prouve
sa présence dans un carrosse. La périphrase « Messire
Jean Chouart » (v. 1Cool, empreinte de faux respect est
très ironique par le contraste entre le titre de « Messire »
traditionnellement accordé aux gens d’église et le nom
propre aux connotations ouvertement sexuelles.
Le fabuliste démasque les pensées secrètes du pasteur
(« semblait lui dire », v. 20) en imaginant ses véritables
préoccupations, bien profanes pour un homme d’église :
tout en priant, il songe à l’argent qu’il va en retirer, puis
à l’usage épicurien qu’il va en faire (« une feuillette
du meilleur vin », v. 24-25). Satire traditionnelle de
l’homme d’église, attaché aux biens terrestres, amateur
de bonne chère… et de filles, comme le montrent les
vers 26 à 29 : progressivement les pensées du prêtre
s’égarent, l’argent de l’enterrement servira à acheter
des jupons à sa femme de chambre. Cette pensée
érotique sera pour lui la dernière, La Fontaine faisant
ironiquement mourir l’homme de Dieu sur « cette
agréable pensée » (v. 24), en décalage complet avec la
situation et le rôle qui devrait être le sien.

6. Une chute soudaine ajoute au charme du récit
et renforce sa visée morale. Cette soudaineté est marquée
par le passage au présent, le hiatus disgracieux qui
suggère la collision (« un heurt », v. 30), la succession
rapide des événements (« heurt » qui renverse le « char »,
v. 30, « choc », v. 32, du cercueil qui « entraîne », v. 33,
la mort du curé), les verbes de mouvement (4 en 6
vers). Le rythme concourt à cet effet d’accélération :
octosyllabes brefs (30, 31, 34, 35), enjambement des
vers 31, 32. On note de plus les allitérations imitatives
du vers 32 avec la répétition du [k] qui suggère le choc,
du vers 33 avec la lourdeur des trois [p].

Les deux fables

7. Les points communs sont les suivants :
– deux fables qui multiplient les effets d’écho,
parallélismes et oppositions : marche de la laitière/
marche du mort (« s’en allait tristement »), vêtements
de Perrette/vêtements du mort, chute de la jeune
paysanne/chute du curé et du mort, monologue de
Perrette/monologue du curé, cotillon de la laitière qui
marque le début de la rêverie/cotillon qui clôt celle du
curé ;
– deux situations similaires : deux personnages en
mouvement, cheminant sur la route de la vie, qui
vaquent à leurs affaires ordinaires (un marché et
un enterrement), et se mettent à rêver ; deux héros
trop pressés sans doute et qui se prennent aux jeux
de l’imagination. Dans les deux cas, on assiste au
déroulement d’une rêverie qui, progressivement,
s’éloigne du réel : du lait à la vache et au veau pour
l’une, de l’argent au cotillon pour l’autre ;
– un dénouement comparable : tous deux sont ramenés
brutalement à la réalité. Si la laitière est personnellement
responsable de sa chute, le curé est victime d’un imprévu
qui met fin à sa rêverie.
Toutefois, d’une fable à l’autre, la tonalité se fait
plus grave : Perrette n’encourt que le châtiment de son
mari, le curé trouve la mort, soulignant la vanité de nos
songes. La vie est pleine d’aléas, de caprices, changeante,
instable et rend tout calcul, toute entreprise aléatoire.

8. La morale de la première fable
élargit le propos en lui conférant une dimension universelle : « quel esprit ? »
(v. 30), « qui ? » (v. 31) ; toutes les conditions (« tous »,
v. 32, « chacun », v. 34, « nous », v. 36) sont concernées : les
conquérants comme Pyrrhus et Picrochole, illustrations
historiques pour le premier, littéraire pour le second, des
rêves les plus fous de domination, l’humble laitière ou
encore le curé, représentants de l’humanité commune.
La fable a valeur d’exemplum. Le fabuliste s’inclut
dans ce travers humain (reprise insistante du « je »), luimême
cède aux délices du songe, car « il n’est rien de plus
doux » (v. 34) et la rêverie console de la vie. Il se moque
de lui-même à la faveur d’une gradation amusante (v. 38
à 41), s’imaginant en monarque élu (« on m’élit ») et
aimé (« mon peuple m’aime »), devenant le souverain
de plusieurs états au vers 41 (hyperbole humoristique).
Le diptyque illustre deux modalités de l’imagination :
la laitière rêve d’enrichissement, le prêtre nourrit une
rêverie épicurienne.

La Fontaine,
« Les Obsèques de la Lionne »


1. Un schéma classique

Ce schéma est le suivant :
– un récit aux étapes bien marquées, suivi d’une morale ;
– les 16 premiers vers plantent avec vivacité le décor
(octosyllabes, sauf vers 44 et 8, succession de passés
simples, nombreux enjambements) : la mort de la
lionne, l’annonce des obsèques, le chagrin de commande
de la cour ;
– le vers 17 interrompt le récit à la faveur d’un « je »
qui marque l’intervention du fabuliste. Celui-ci se lance
dans une série de considérations au présent de vérité
générale sur les travers de la cour et des courtisans ;
– le vers 24 met fin à cette digression de façon brutale
(vers 24, 25) : La Fontaine reprend son récit, mené à
la troisième personne jusqu’au vers 32 pour évoquer
l’attitude du cerf et la dénonciation dont il est l’objet
de la part d’un « flatteur » ;
– s’ensuit (vers 33 à 3Cool une nouvelle étape du récit, avec
la tirade du lion rapportée au discours direct : le drame
se met en place, le lion prononce la condamnation du
cerf et appelle au lynchage : les 3 octosyllabes ponctués
de 3 impératifs qui terminent son discours contribuent
à dramatiser le récit ;
– vers 39-49 : réplique, au style direct, du cerf, dans
laquelle est enchâssée la prosopopée de la lionne. On
notera l’habileté de la construction polyphonique ;
– la chute, brève (2 vers et demi), est marquée par le
retour au récit entrecoupé des cris de la cour : le cerf a
renversé la situation à son profit, l’effet de son discours
est immédiat (« à peine »).

2. Les interventions du narrateur

Elles sont nombreuses :
– adresse au lecteur pris à témoin de la servilité des
courtisans au vers 11 ;
– précision humoristique du vers 14 ;
– considération critique sur la cour menée à la première
personne des vers 16 à 23 ;
– retour au récit qui met fin à la digression (v. 24) ;
– précision pour expliquer l’attitude du cerf (v. 25 à 27) ;
– considération humoristique au présent sur la colère
royale et l’ignorance du cerf, rapprochement ironique
du lion et de Salomon, le lion ne passant pas pour un
modèle de justice comme le roi biblique !

3. L’attitude du roi

– un roi autoritaire qui convoque ses courtisans et règle
les moindres détails (vers 6 à 10) ;
– un roi au chagrin affecté et exagéré (hyperbole des
vers 12, 13), à la colère « terrible », qui affiche son
arrogance et son mépris à l’égard du « chétif hôte des
bois » (v. 33), l’adjectif rappelant la vulnérabilité du
cerf, qui a déjà eu maille à partir avec la lionne ;
– un monarque qui condamne sur une simple délation ;
– un roi cruel : allusion au châtiment à travers la
mention des « sacrés ongles » (v. 36) ;
– l’adjectif et l’antithèse « membres profanes »/« sacrés
ongles » rappellent le caractère sacré du monarque de
droit divin, allusion claire à la monarchie française ;
– un roi sensible à la flatterie qui récompense ceux qui
s’y livrent (vers 51).

4. Les courtisans

Désignés par l’adjectif indéfini « chacun » (v. 2 et
11), par le pronom personnel « on » (v. 49, 50), les
courtisans n’ont pas d’individualité propre, mais sont
fondus dans l’anonymat collectif (« les gens », v. 17 et
23, ou la répétition du mot « peuple », v. 21, qui prend
ici une nuance péjorative). Il faut attendre le vers 16
pour que La Fontaine laisse éclater son mépris à leur
égard (emploi ironique de la formule « Messieurs les
courtisans », avec une majuscule emphatique). Le
terme « pays » qui désigne la cour (v. 17) introduit une
distance géographique, La Fontaine se fait ethnographe
(La Bruyère s’en souviendra), la cour est un monde
à part, aux moeurs étranges. Le fabuliste dénonce
la servilité de ces derniers dès le vers 2 (l’adverbe
« aussitôt » souligne leur empressement obséquieux).
La charge se fait plus dure avec le vers 21 à la faveur
d’une double animalisation caractéristique de la satire :
le courtisan est traité de « caméléon », puis de « singe ».

La reprise de « peuple » traduit la colère, l’indignation
de La Fontaine.
L’accusation est double : l’homme de cour est
changeant, oscillant au gré des caprices du prince, comme
le souligne la double antithèse du vers 18 renforcée par
le chiasme, « prêts à tout, à tout indifférents ». L’idée est
bien mise encore en valeur par le rythme irrégulier et
sautillant : 1/2/3/2/4. Le courtisan change d’attitude à
vue. Le but est de plaire, il ne s’agit pas d’être soi-même
mais d’être « ce qu’il plaît au Prince ».
Autre travers : l’hypocrisie, dénoncée au vers 20
avec l’emploi du verbe « parêtre » à la fin du vers et la
rime riche, anti-sémantique « être »/« parêtre ». Nulle
sincérité chez le courtisan qui vient s’acquitter d’une
formalité (v. 4 et 5), on notera le passage à l’alexandrin
et les deux diérèses à la rime (« consolation »/
« affliction »). « On dirait » (v. 22) introduit une
comparaison puis une métaphore, au vers suivant,
qui parachèvent la métamorphose des courtisans qui
sont progressivement déshumanisés, passant de l’état
de « corps » opposé à « esprit » à celui de « simples
ressorts ». La cour devient un gigantesque mécanisme
dont le courtisan est un rouage, une pièce agie de
l’extérieur.

5. Le discours du cerf


Ce discours du cerf est habilement composé en trois
temps : un vers et demi exhortant le lion à apaiser son
chagrin en forme de « captatio benevolentiae » ; puis
l’explication, amorcée par le récit (« narratio ») d’une
vision merveilleuse introduite par une périphrase
flatteuse et noble. On notera la manière dont le cerf se
met à son avantage (« m’ » rejeté en fin de vers, faisant
de l’animal le témoin élu par la lionne), la reprise en
chiasme (« votre digne moitié »/« m’ »/« je »/« l’ ») qui
souligne le lien privilégié entre les deux protagonistes,
le cerf se prétend qualifié d’« ami » par la lionne qui le
tutoie dans les vers suivants.
Le vers 43 est à double sens : il met en valeur le
courtisan aux yeux du lion, mais est également empreint
d’une cruelle ironie (le cerf a un vieux compte à solder,
v. 26-27) et peaufine sa vengeance. À partir du vers 44,
le cerf utilisant une prosopopée, rapporte les propos de
la reine. Celle-ci apparaît satisfaite de son sort (v. 46),
comblée (puisque devenue une sainte). Le discours de la
lionne s’achève sur une coquetterie en forme de pointe.
Le cerf utilise donc un argument d’autorité pour excuser
le fait qu’il n’ait pas compati à la douleur du lion.

6. Une tonalité satirique

La satire est rendue explicite par les multiples
interventions du fabuliste, qui laisse éclater son mépris
et son indignation en recourant à la première personne
(v. 16 à 23), aux procédés caractéristiques de la satire :
animalisation des courtisans (« rugir », « peuple
caméléon », « peuple singe »), cruauté de la lionne
vers 27), lexique moral dépréciatif (« prêts à tout »,
« indifférents », « un flatteur »).

7. Les innovations de La Fontaine


On notera la grande similitude entre les deux
versions. La Fontaine pratique ici l’imitatio caractéristique
du classicisme. Mais on relèvera les nombreux
enrichissements apportés par le fabuliste ; « mon
imitation n’est pas un esclavage », dira La Fontaine :
interventions du narrateur, importance accordée au
style direct qui anime le récit (discours du roi, cris
des courtisans), anthropomorphisme, rôle accru
des courtisans qui n’apparaissent qu’une fois chez
Abstémius (au début) et sont qualifiés seulement de
« quadrupèdes ». La morale de La Fontaine infléchit la
portée de la fable : chez Abstémius, il s’agit d’un conseil
de prudence, d’une mise en garde afin de se prémunir
des puissants. Le mensonge est excusé (« honnête
excuse »). La Fontaine déplace le centre de gravité de
la morale en portant l’accent sur la satire de la figure
royale sensible à la flatterie et versatile. La satire des
courtisans occupe chez ce dernier une place majeure,
à la différence d’Abstémius qui n’y fait qu’allusion et
gomme l’intervention du « flatteur ».

Florian, Fables,
« La fable et la vérité »


Une allégorie
L’allégorie est double ici : elle se présente sous la forme
d’une double personnification de la fable et de la vérité,
c’est-à-dire d’un genre et d’une valeur en apparence
opposés. Toutes deux sont représentées sous la forme
de deux femmes diamétralement opposées par l’âge et
la tenue. Les deux premiers vers réactivent un proverbe
éculé, « la vérité sort du puits », grâce au passé simple, à
l’indication de temps « un jour » et à la personnification.
L’adage impersonnel perd son abstraction.
La vérité est « toute nue » : le fabuliste rajeunit une
formule courante en la prenant au pied de la lettre
(l’expression sera reprise au vers 22). Le dénuement de
la vérité est symbolisé par l’hyperbole et la brièveté du
vers impair, qui inaugure l’apologue ; le fabuliste joue
sur le double sens du qualificatif « pauvre » (v. 5), ici
antéposé (sens économique, mais aussi expression de
la compassion du narrateur). L’absence de vêtement
explique la réplique du vers 13, « je gèle ».
À l’inverse, la fable est « vêtue » : à la pauvreté de la
première répondent le « richement vêtu » du vers 8, les
ornements et les bijoux (v. 9), l’éclat (« brillants », v. 10),
le « manteau » du vers 25. On notera la restriction du
vers 10 (« la plupart faux ») qui rappelle le caractère
hybride de la fable, mixte de vérité et de mensonge.
Alors que la vérité est seule et rejetée de tous (vers
4, 6, 14, 16), la fable est « fort bien reçue » (v. 20) et
trouve l’asile « en vain » recherché par la vérité (v. 6).
Enfin, elle a perdu sa beauté (long alexandrin du vers 3
scandé par l’allitération en « t » qui suggère les atteintes
du temps) : la cause est imputable à sa vieillesse, à son
apparence de « vieille femme » (v. 17).

Le rôle de la fable
La fable mène le jeu et le dialogue, c’est elle qui prend
la parole au vers 18 et la conserve jusqu’à la fin de la fable,
la vérité se tait. Elle commence par saluer la vérité (v. 11),
manifeste du respect à son égard, à la différence des
passants, en la qualifiant de « dame » (v. 21), elle propose
ensuite une solution, un pacte intéressé (v. 24), un échange
de bons procédés : la fable a besoin de la vérité pour entrer
chez les sages et la vérité de la fable pour convaincre les
fous. Elle tire ainsi sa malheureuse compagne de la misère
et de la solitude, elle connaît les hommes et exprime sa
certitude à l’aide du futur « vous verrez » (v. 32).

La morale de la fable
Les hommes fuient la vérité à son passage, « jeunes
et vieux » (v. 4), « passants » anonymes qui viennent à
la croiser, elle est même « maltraitée » par les « fous »
(gradation discrète). L’allégorie est claire : les hommes
n’aiment pas « la vérité toute nue », illustration de
l’adage « toute vérité n’est pas bonne à dire », la vérité
n’est pas toujours belle à voir, sa laideur dérange,
l’humanité préfère les enjolivements de la fable. Si
les hommes préfèrent les fables, c’est parce qu’elles
enrobent l’âpreté du vrai, pare celui-ci des plumes
de l’allégorie, des diamants du style, elle ne reprend
pas à rebrousse-poil une humanité chatouilleuse, et
ménage l’orgueil humain. Mais sans la vérité, la fable
n’est plus qu’un mensonge – rappelons que le terme
est polysémique et a aussi cette acception – elle a donc
besoin de s’allier à cette dernière pour se justifier.
Florian se livre à un éloge de la fable, du pouvoir de
cette dernière seule capable de corriger les hommes.
La vérité commet une erreur en se présentant « toute
nue » : ce n’est pas le meilleur moyen de parvenir à ses
fins. La leçon est moins pessimiste que lucide, il faut
prendre l’homme tel qu’il est et non tel qu’il devrait être,
pour reprendre La Bruyère. On rattachera cette morale
implicite à la préface des Fables de La Fontaine.


Avatars et détournements de la fable

Corbière, Les Amours jaunes,
« Le poète et la cigale »


La muse du poète
On rappellera la définition de « muse » : divinité
inspiratrice des poètes et des artistes. Au nombre de
neuf dans la mythologie grecque, elles sont les filles de
Zeus et Mnémosyne, la mémoire :
Clio, muse de l’histoire
Euterpe, muse de la musique
Thalie, muse de la comédie
Melpomène, muse de la tragédie
Terpsichore, muse de la danse
Érato, muse de l’élégie
Polhymnie, muse de la poésie lyrique
Calliope, muse de la poésie épique
Uranie, muse de l’astronomie
La muse est une personnification classique de
l’inspiration, une allégorie féminine.
La dédicace poétique est explicite « À Marcelle ».
Elle se manifeste à l’intérieur même du poème :
vouvoiement du vers 12, compliment galant qui donne
au poème l’allure d’un madrigal (« blonde voisine »,
v. 8, « très prêteuse », v. 15), superlatifs, oxymore enjoué
du vers 16 (« son plus joli défaut »). On précisera que
Marcelle n’est pas la muse mais la « marraine » (v. 4)
qui va inspirer à nouveau celle-ci.

De La Fontaine à Corbière

Les protagonistes animalisés des Fables sont devenus
des êtres humains : la cigale négligente a cédé la place au
poète en mal d’inspiration, la fourmi avare, à Marcelle, jolie
voisine « très prêteuse » qui répond par l’affirmative à la
requête du poète, la nourriture n’est plus terrestre mais
artistique, il demande l’autorisation de « lui prêter/son
petit nom pour rimer ». Non seulement Marcelle accède à
sa demande mais elle se réjouit de l’honneur qui lui est fait
(exclamatives finales). Le lecteur est ainsi invité à considérer
favorablement l’aimable Marcelle si différente de la fourmi
moralisatrice et au fond égoïste de La Fontaine.
Le sens de la fable est ainsi profondément transformé.
Pas de morale chez Corbière, il s’agit d’une dédicace
flatteuse, d’un petit récit en guise d’hommage à la
résonance fortement autobiographique, alors que la
fable de la Fontaine comporte une morale implicite (un
appel à la prévoyance), la fourmi donnant une bonne
leçon à la cigale. La fable initiale finit mal et suggère
la mort probable de la cigale imprévoyante, celle de
Corbière, mais peut – on encore parler de fable ? – se
termine heureusement. Plus qu’une fable, il s’agit bien
ici d’un détournement de la fable de La Fontaine, d’un
hommage amoureux à l’inspiratrice du recueil.

Une fable à tonalité humoristique
Modification amusante du titre de la fable, la fourmi
laborieuse et pingre est éliminée, la cigale devient une
jeune femme dispendieuse qui prête son nom à tous
vents, jeu de mots du vers 2 (« rimé »/« imprimé »),
collage de citations de la fable source – on proposera
aux élèves de retrouver les citations du texte de La
Fontaine –, calembour sur « vers » et « vermisseau »
(v. 6), sur « famine » (v. 7), c’est-à-dire l’état de manque
d’inspiration, prosaïsme du prénom, inversion du
caractère de la jolie voisine « très prêteuse », alors que
la fourmi « n’est pas prêteuse/c’est là son moindre
défaut », autodérision du poète (« foi d’animal ! »),
oxymore plaisant (« joli défaut », v. 16), registre
familier des rimes (« morceau »/ « vermisseau », v. 5-6,
parenthèse pour la rime du vers 11).
La parodie conduit au renversement de situation et à
l’inversion des personnages, il ne s’agit plus de travailler
mais de rimer. Morale qui plaide en faveur de la création
poétique considérée comme une activité supérieure à
l’activité économique de la fourmi. L’humour de Corbière
sera utilement rapproché du Marot de « L’épître au roi »
avec son jeu sur les rimes holorimes.

L’autodérision du poète
Le poète pratique l’autodérision : en proie au manque
d’inspiration, réduit à la disette et contraint de s’adresser
à sa voisine, mendiant à l’instar de la cigale, ne lui
demandant que son « petit nom » (v. 10), juste de quoi
relancer une inspiration tarie. Pas de dramatisation
ici, mais l’aveu presque ingénu des intermittences de
la création. On comparera avec le sonnet de Du Bellay
« Las, où est maintenant ce mépris de fortune ». Ajoutons
le clin d’oeil à la fable et la discrète animalisation du vers
13, ainsi que la posture amusante du soupirant livrant
son appréciation sur la voisine consentante (vers 15, 16)
avec, sans doute, un sous-entendu licencieux. Le dernier
vers, détaché, en forme de chute, met le poète à l’épreuve :
sera-t-il à la hauteur ?

Anouilh, « La cigale »

Le choix du titre
Anouilh élimine la fourmi au profit du renard, réputé
pour sa ruse, discret clin d’oeil au Roman de Renart.
La cigale devient le personnage principal, héroïne
triomphante qui dément ainsi sa légende et la fable
source. La cigale est en réalité une fourmi. Elle est le
moteur du récit (vers 9), impose sa parole, calcule,
décide, ordonne (« j’entends » répété deux fois, v. 38
et 42, « vous l’augmenterez », v. 40, « je veux », v. 50,
contraignant le renard à « s’incliner », v. 57).

La progression de la fable
Une construction, efficace, est fondée sur un coup
de théâtre qui constitue un renversement de situation
et un retournement du sens de la fable de La Fontaine.
Au plaidoyer pro domo de celui-ci en faveur de la cigale,
incarnation de l’insouciance prodigue du poète, Anouilh
substitue une satire mordante du milieu artistique et
fait de la cigale un personnage antipathique. La fable
est construite à la façon d’une petite comédie grinçante
en 5 actes :
– premier acte (vers 1 à Cool : présentation du personnage
principal ;
– deuxième acte (vers 9 à 32), la visite chez le renard. La
cigale se tait et écoute sagement ce dernier lui proposer
un marché de dupes ;
– troisième acte (vers 32 à 44) : réponse inattendue de
la cigale qui dévoile le personnage et constitue un coup
de théâtre, le renard se tient coi ;
– quatrième acte (vers 45 à 55) : fausse sortie, très
théâtrale, de la cigale qui se drape dans ses atours et
occasionne un quiproquo, le renard se méprenant à
nouveau sur son interlocutrice ;
– le dernier acte, bref (deux vers), en forme de
dénouement et d’épilogue, revient sur le renard et sa
décision de changer de métier.

La critique d’un certain milieu social
La cigale est une chanteuse en tournée dans les
casinos. La fable est plaisamment actualisée dans le
contexte des années soixante, aujourd’hui, la cigale
passerait sans doute à la télévision.
Une fois sa tournée estivale achevée, elle cherche à
placer ses économies, on notera la satire acérée d’un
milieu qu’Anouilh connaît bien, celui des artistes qui
prétendent vivre d’amour et d’eau fraîche, affichent le
plus grand mépris pour l’argent, prennent la posture
de l’artiste, par définition désintéressé et dispendieux.
Rappelons qu’Anouilh est politiquement un anarchiste
de droite stigmatisant les faux-semblants d’une
profession qu’il exècre. Or, la cigale est tout le contraire,
aujourd’hui elle placerait ses économies en Suisse ou
à Monaco ! La fable est inscrite dans le contexte très
polémique des années soixante qui voient s’affronter
artistes engagés comme Sartre et écrivains refusant tout
engagement politique. Pragmatique, elle spécule et se
montre avide de profit, c’est une capitaliste plus rapace
que la fourmi qui thésaurise. Anouilh nous offre une
leçon d’économie. Profondément individualiste, la cigale
se montre à la fin cynique et âpre au gain, n’hésitant pas
à pratiquer l’usure. Sa dureté de coeur est soulignée par
son « oeil froid », son « regard d’acier » (v. 33 et 35), par
l’ironie mordante par laquelle elle réplique du tac au tac
à l’offre du renard au vers 32, mise en valeur par la rime
« muses »/ « amuse » (preuve qu’elle n’est pas dupe). Le
détail de la « cape de renard » (v. 47) révèle la cruauté
du personnage. La cigale d’Anouilh est plus proche de
Gobseck que de l’insecte de la Fontaine insouciant, tout
entier à son art, imprévoyant, incapable du moindre
calcul et totalement inadapté au monde.

Le personnage du renard
Anouilh reprend les principaux traits de l’animal tels
qu’ils se sont perpétués depuis Le Roman de Renart :
rusé, il croit tenir « la bonne affaire », toujours prêt à
profiter de la crédulité d’autrui, beau parleur comme en
témoigne le long discours (19 vers) qu’il tient à la cigale,
obséquieux, « tout sucre et tout miel » (vers 34), c’est
un flatteur à l’instar du renard de La Fontaine auquel
la tournure « Maître Renard », fait clairement allusion :
« Madame » respectueux lancé à la visiteuse, vouvoiement
appuyé, hyperbole du vers 14, modestie feinte (« le rôle
ingrat » de gérer les économies de son interlocutrice),
opposant les « trop bas calculs » à « l’art » et au « génie »
de la cigale (v. 25-26), s’incluant dans ces « autres »
anonymes dépourvus de tout talent poétique (vers 23),
multipliant les compliments achevant sa péroraison
sur une exclamative pleine d’un regret feint (vers 30)
et ponctuant d’une formule stéréotypée et emphatique,
« ne sacrifier qu’aux muses ». « Maître renard » s’amuse
et croit tenir sa dupe.
Il se montre éloquent et persuasif, comme le renard
de la tradition : en guise de « captatio benevolentiae »
(vers 14 à 1Cool, cinq vers sont destinés à amadouer la
cigale par un compliment, immédiatement suivi d’une
considération générale sur la nécessité de l’argent. Il s’agit
d’atténuer les préventions de cette dernière en feignant
un désintéressement censé séduire. Mais le renard
est victime d’un cliché raillé par Anouilh : les artistes
seraient des êtres éthérés méprisant les contingences
matérielles. Il entre ensuite dans le vif du sujet par
un argument présentant les inconvénients de gérer sa
fortune (« soins », « gêne ») et la nécessité de recourir à
des intermédiaires.
Les vers 25-26 font valoir un second argument
présentant les conséquences à vouloir s’occuper soimême
de sa fortune sur l’inspiration. Avec les impératifs
(« laissez » répété, « signez », « ne vous occupez de
rien »), le renard se fait plus pressant et joint le geste à la
parole, non sans avoir minoré (vers 27, bref octosyllabe,
qualificatif diminuatif) l’engagement qu’il propose.
Le vers 32 constitue un coup de théâtre, qui dévoile
au renard l’étendue de son erreur. Désormais, c’est la
cigale qui mréduit à écouter et obtempérer. Sa méprise est double : il
a cru une première fois duper sa visiteuse en lui faisant
signer un blanc-seing, il se trompe une seconde fois en se
méprenant sur la condition fixée par celle-ci au vers 50.

Une fable sans prétention morale
Anouilh ne prétend pas enseigner, ne délivre pas de
morale, il montre. Le renard tire la leçon de l’épisode et se
reconvertit, la cigale l’a tiré de son illusion (« il se croyait »,
v. 56), il reconnaît sa défaite (« il s’inclina », v. 57), mise
en valeur par l’enjambement avec rejet. Lui qui se pensait
maître ès cynisme, dépourvu de tout scrupule a trouvé
plus fort que lui, plus avide. Le « mais » du dernier vers est
humoristique et amorce la chute, le renard n’abandonne
pas la partie, on ne se refait pas ! « Il apprend la musique »
(v. 57) : le fabuliste joue sur le double sens de l’expression
courante légèrement modifiée « connaître la musique »,
à savoir il lui faut progresser encore pour parvenir au
niveau de sa rivale en matière de spéculation, il se met à
la musique qui lui semble un bon moyen de s’enrichir et
non par amour de l’art.

Orwell,
La Ferme des animaux


Dans Pourquoi j’écris, Orwell commente le projet
qui a été le sien en écrivant son apologue : « Animal
Farm est le premier livre dans lequel j’ai essayé, en ayant
pleinement conscience de ce que je faisais, de fusionner
le but artistique et le but politique. »

Un coup de théâtre
La scène revêt l’allure d’un coup de théâtre par la
dramatisation : soudaineté de l’événement (« surpris »,
l. 2, « abasourdis », l. 16, « choc », l. 1Cool, lexique
hyperbolique de la peur (« hennissement d’épouvante »,
« terrifiés », l. 16, « se serraient les uns contre les
autres », l. 16-17, « frayeur », l. 19), immobilisation des
animaux glacés d’effroi (« firent halte », l. 2, « silence
de mort », l. 16). Le narrateur retarde la révélation, la
scène est décrite à travers le regard effaré des animaux
(« ils virent ce que Douce avait vu », l. 4). L’apparition
est mise en valeur par la disposition typographique de
la ligne 5.
Comme dans tout bon coup de théâtre, il s’agit
d’un retournement (au sens propre) de situation : les
cochons ont choisi d’adopter la posture humaine de
la bipédie. D’où la formule d’Orwell, « c’était comme
le monde à l’envers ». Après s’être révoltés contre les
hommes, les cochons miment désormais leurs anciens
maîtres. C’est un retour en arrière, la fin de la révolution
qui avait vu les animaux prendre en main leur destin
et chasser leurs oppresseurs humains. L’inversion de
la nature à laquelle procèdent les cochons reflète la
dénaturation de l’utopie. Ce premier coup de théâtre
se double d’un second : la découverte de la disparition
des commandements qui fixaient la constitution de la
ferme utopique et leur remplacement par un seul.

Le choix des animaux
Les cochons incarnent les nouveaux maîtres qui font
régner la terreur, le choix de l’animal, avec ses connotations
péjoratives, a bien sûr une portée satirique. Parmi les
cochons, il y a une hiérarchie au sommet de laquelle on
trouve Brille-Babil au nom suggestif, c’est l’intellectuel,
le démagogue éloquent ; et Napoléon, le tyran, armé
de son fouet, incarnation de Staline. Les cochons, qui
représentent les membres du parti, la nomenklatura des
privilégiés du régime, ont leur cour : le petit coq noir (on
notera la couleur dépréciative) et les chiens, animaux
domestiques qui aboient au passage de leurs maîtres,
chiens de garde qui sèment la terreur (l. 19) et constituent
la milice au service du pouvoir. Ils sont une allusion claire
à la police secrète stalinienne. Les moutons, animaux
réputés grégaires symbolisent ceux qui se soumettent sans
protester. L’âne Benjamin et la jument Douce tranchent
par leur attitude, ils sont les témoins désabusés de la
trahison de leur idéal de justice : le premier observe un
silence désapprobateur à l’égard du nouveau régime, la
seconde en raison de son âge est la mémoire de la ferme et
des débuts prometteurs de l’utopie. Ils figurent l’ancienne
garde révolutionnaire écartée du pouvoir et restée fidèle
à ses idéaux de jeunesse.

Les éléments caractéristiques
de la fable

Il s’agit de :
– l’animalisation qui permet de représenter des types et
des comportements humains parfaitement identifiables
sous des traits animaux ;
– le choix d’animaux aux connotations stéréotypées à
forte charge polémique ;
– des noms qui reflètent la personnalité des animaux
(Napoléon est un dictateur, la jument Douce mérite
bien son nom, Brille-Babil est l’idéologue de service
prêt à tout justifier) ;
– une situation politique (un putsch installant un
régime de terreur) présentée sous une forme allégorique
dont la signification est transparente au lecteur ;
– une morale implicite reflétant le pessimisme de
l’auteur et que le lecteur est invité à tirer et méditer ;
– une visée polémique.
« La bonne prose est comme une vitre », écrivait
Orwell.

Une tonalité polémique
Orwell se livre à un réquisitoire qui reprend les
caractéristiques de la satire : il tourne en ridicule la posture
physique des cochons qui constitue une inversion de la
nature (« un peu gauchement », l. 6, « peu accoutumé »,
l. 6, « à pas comptés », l. 8, « un peu chancelants », l. 10),
la multiplication de « un peu » souligne la gêne, la
gaucherie de la démarche. Le terme « cortège » (l. 17) et
l’adjectif « majestueux » qualifiant Napoléon contrastent
avec la scène. Le mélange des traits humains et animaux
introduit le grotesque caractéristique de la satire : les
cochons (l. 41 et suivantes), non contents de marcher sur
deux pattes, endossent – comble du grotesque – les habits
humains. Le passage s’achève en outre sur l’apparition
de la « truie favorite » de Napoléon en « robe de soie
moirée ».
La satire, politique, vise une double cible. Tout
d’abord, les cochons staliniens qui trahissent les idéaux
révolutionnaires et reproduisent les comportements de
leurs anciens maîtres humains, symboles du capitalisme ;
ensuite, l’attitude des moutons qui consentent à ce coup
de force et se soumettent au lieu de se révolter.
Le peuple s’habitue très vite (dès le « lendemain »,
l. 40) à l’inacceptable (anaphore de « il ne parut pas
étrange » dans le dernier paragraphe). Le pessimisme
d’Orwell se nourrit de son expérience de militant déçu :
l’habitude, la crainte et la lâcheté conduisent à accepter
un ordre tyrannique.

Une dénonciation du totalitarisme
On relèvera l’absurdité de la deuxième proposition
présentée sous la forme d’une restrictive introduisant
une inégalité de fait, démentant l’affirmation initiale.
L’unique commandement (on rappellera la connotation
biblique attachée à ce terme, singulièrement déplacé dans
ce contexte utopique et révolutionnaire) revêt l’allure
d’une sorte de syllogisme incomplet auquel manquerait
la conclusion (« donc tous ne sont pas égaux »). À travers
l’absurdité de la phrase, Orwell dénonce la perversion de
l’idéal d’égalité et de justice à l’origine de la révolution
communiste. Le passage, qui se situe à un moment-clé
du récit, reflète la visée de l’apologue : dénonciation du
totalitarisme stalinien, au-delà, critique des utopies qui
prétendent faire le bonheur de l’homme et se muent en
esclavage. À la fin du récit, les hommes reconnaîtront
que les cochons exploitent davantage qu’eux les autres
animaux, ils se réconcilieront avec eux au cours
d’un repas où la distinction entre les cochons et les
hommes s’estompera. « Dehors, les yeux des animaux
(qui observent la scène à travers une fenêtre) allaient
du cochon à l’homme et de l’homme au cochon, et
de nouveau du cochon à l’homme ; mais déjà il était
impossible de distinguer l’un de l’autre. »


Séquence et analyse du site :
http://lpblanc.blog.espresso.repubblica.it/files/argumentation-fable-cf.-pages-3-5-sur-la-fontaine.pdf
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