DU BREVET AU BAC Préparation au brevet et au bac de français, philosophie et HLP
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Prof de français lycée, Intervenant enseignant en français, 1ères S et ES
Age: 64 Inscrit le: 07 Fév 2011 Messages: 1583
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Sujet: Voltaire et Thomas More, Dossier sur l'utopie Ven Déc 27, 2013 9:26 pm |
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Introduction à l’utopie
I – Définition :
1) Quel est le sens étymologique du mot « utopie » ? Qui a inventé ce mot ? Quand apparaît-il dans la langue française ?
2) Donnez la définition du genre littéraire auquel correspond l’utopie. Comment ce genre évolue-t-il ?
3) Quels sont les sens courant du mot « utopie » et de son dérivé « utopique » aujourd’hui ?
Document complémentaire
1: définition du mot « utopie »
http://expositions.bnf.fr/utopie/arret/d0/index.htm
La poursuite d'une chimère Dans le langage courant actuel, " utopique " veut dire impossible ; une utopie est une chimère, une construction purement imaginaire dont la réalisation est, a priori, hors de notre portée. Or, paradoxalement, les auteurs qui ont créé le mot, puis illustré le genre littéraire inventé par Thomas More en 1516, avaient plutôt pour ambition d'élargir le champ du possible, et d'abord de l'explorer. Certes, l'utopie se caractérise par un recours à la fiction, par un artifice littéraire qui consiste à décrire une société idéale dans une géographie imaginaire, souvent dans le cadre d'un récit de voyage purement romanesque. Mais imaginaire ou fictif ne veut pas dire impossible : tout rêve n'est pas chimère. Les utopies relevant de la littérature politique, du XVIe au XVIIIe siècle, participent d'une critique de l'ordre existant et d'une volonté de le réformer en profondeur ; le recours à la fiction est un procédé qui permet de prendre ses distances par rapport au présent pour mieux le relativiser et de décrire, d'une manière aussi concrète que possible, ce qui pourrait être. Et l'épanouissement du genre utopique correspond à une période où l'on pense, justement, que, plutôt que d'attendre un monde meilleur dans un au-delà providentiel, les hommes devraient construire autrement leurs formes d'organisation politique et sociale pour venir à bout des vices, des guerres et des misères. En ce sens, les descriptions qu'ils proposent, dans lesquelles ils font voir des cités heureuses bien gouvernées, visent à convaincre leurs lecteurs que d'autres modes de vie sont possibles. […]
Du nom propre au nom commun Thomas More invente le mot latin : Utopia, construit à partir du grec ou, " non, ne … pas ", et de topos, " région, lieu ", est le nom d'une île située " en aucun lieu ". Cette négation est ambiguë. Faut-il entendre que cette île, dont le gouvernement idéal règne sur un peuple heureux, est imaginaire, inédite, ou encore impossible ? Comment comprendre le fait qu'elle est en même temps localisée, puisque située par More quelque part aux confins du Nouveau Monde ? Et, puisque l'ouvrage de l'humaniste anglais est destiné à faire pendant à l'Éloge de la folie d'Érasme, ne s'agit-il pas simplement de cet exercice rhétorique humaniste où l'on feint un monde inversé pour mieux montrer que le plus raisonnable n'est pas celui qu'on croit ? Bientôt, le genre littéraire inauguré par More se diversifiera et l'on verra apparaître des eutopies (du grec eu, " bien "), des dystopies (du grec dus, exprimant une idée de difficulté, de trouble), des utopies satiriques ou critiques, des anti-utopies, des contre-utopies… La forme francisée " utopie " est attestée chez Rabelais (1532) et, sur le modèle de l'anglais utopia, le mot devient nom commun en intégrant le vocabulaire politique du XVIIIe siècle ; il désigne alors le plan d'un gouvernement imaginaire, à l'image de la république de Platon. Ce n'est qu'au milieu du XIXe siècle que le sens courant actuel s'impose et que l'utopie en vient à désigner un projet politique ou social qui ne tient pas compte de la réalité. Pour quelques-uns, que justement la " réalité " n'enthousiasme guère, il s'agit là d'une qualité essentielle ; plus généralement, un glissement s'opère, faisant de l'utopie un projet irréalisable, voire irréaliste. En témoignent les renvois synonymiques donnés par le Petit Robert à l'article " utopie " : chimère, illusion, mirage, rêve, rêverie…
I -
I – Etude du texte de Thomas More
1) Faites le plan du texte.
2) Lecture du premier paragraphe : a) Pourquoi peut-on dire que l’île a une forme symbolique ? b) Quelles sont les implications économiques et politiques de cette géographie particulière ?
3) Sur quelles réformes repose l’organisation économique et sociale de l’île ?
4) Cette organisation totalement rationnelle peut-elle être le meilleur des mondes ?
Document complémentaire
2: la description de l’île d’Utopie
L’Île d'Utopie a cinq cent mille pas de circuit; vers le milieu, qui est sa plus grande largeur, elle a deux cent mille pas de diamètre; elle conserve cette étendue dans un assez long espace de terrain; ensuite sa largeur diminue insensiblement, et les extrémités de l'île se terminent en pointes, de sorte qu'à son entrée elle présente la forme d'un croissant régulier. La distance d'un cap à l'autre est d'environ onze milles; la mer s'étend dans ce golfe, 5 que la terre abrite presque en tout sens, aussi n'est-il sujet à aucune de ces violentes tempêtes qui se font sentir hors du détroit. Ce bras de mer, toujours paisible, ressemble à un grand lac ou à un étang. On peut regarder ce bassin comme un havre sûr, que la nature a creusé de sa propre main pour la facilité du commerce de ce peuple. A droite, l'embouchure du détroit est garnie de bancs de sable; à gauche elle est hérissée d'écueils; vers le milieu s'élève un rocher très commode, sur lequel on a construit un fort pour défendre le passage. Tous les autres rochers sont à fleur d'eau. Il est impossible de ne pas se perdre, si 10 on ne suit point, en entrant dans ce port, la route et tous les détours que les seuls habitants connaissent. C'est ce qui fait qu'un navire étranger ne peut mouiller dans cette rade que sous la conduite d'un pilote côtier. Il est même nécessaire que de la côte on lui trace, par des signaux, le chemin qu'il doit tenir pour se garantir du naufrage. Le seul changement de place de ces signaux suffirait pour faire périr entièrement une flotte ennemie, quelque nombreuse qu'elle fût. De l'autre côté de l’île on trouve plusieurs ports fort bien abrités, et dans tous les endroits où l'on pourrait tenter une descente, la nature et l'art se sont si 15 bien accordés pour fortifier la côte qu'une poignée de monde serait en état de repousser l'attaque d'une armée formidable. Au reste, suivant l'histoire des Utopiens, et même à en juger par la situation du pays, on apprend qu'autrefois il ne formait point une île. Utope, qui en fit la conquête, au lieu du nom d'Abraxas 1 qu'il portait, lui donna le sien. Cet Utope passe pour le fondateur de la république. Ce fut lui qui le premier civilisa ses habitants et leur donna cette forme de gouvernement si supérieur à tous ceux qui nous sont connus. Ce conquérant législateur, s'étant rendu maître presque sans coup férir de la contrée, fit aussitôt couper une langue de terre de quinze mille pas qui joignait le pays à la terre ferme. Pour ne pas donner aux habitants lieu de croire qu'il voulait les humilier par ces travaux serviles, il y employa, conjointement avec eux, ses propres soldats. L'entreprise fut poussée avec autant de vigueur que de célérité, si bien que les peuples voisins, qui la traitaient d'abord d'extravagante, furent frappés d'admiration et même de terreur lorsqu'ils la virent terminée en si peu de temps. On compte dans toute l'étendue de l'île cinquante-quatre villes, qui ont, autant que le site du terrain sur lequel elles sont bâties a pu le permettre, la même exposition et la même forme. Elles se servent toutes du même idiome, des mêmes coutumes, et sont gouvernées par les mêmes lois. Les plus proches de ces cités sont à vingt-quatre milles de distance, les plus éloignées les unes des autres ne le sont que d'une journée de chemin à pied. De chacune de ces villes trois citoyens, également respectables par leur âge et leur longue expérience, se rendent tous les ans à Amaurote 2, pour y traiter des affaires qui concernent l'île en général. Amaurote est la capitale du pays, parce que, se trouvant placée au centre, les députés des autres villes peuvent s'y rendre avec une égale commodité. Le partage des terres labourables a été fait avec une proportion si exacte que le territoire de chaque ville est au moins de vingt mille pas de circonférence. Quelques villes en ont cependant davantage. Ce sont celles qui sont plus éloignées les unes des autres. Quoi qu'il en soit, chaque cité, satisfaite de la portion de terrain qui lui a été assignée, ne cherche point à en étendre les bornes. Cette heureuse modération vient de ce que les habitants des campagnes s'en regardent moins comme les maîtres et les propriétaires que comme les simples tenanciers. Chaque champ a sa métairie agréablement disposée et pourvue de tous les instruments nécessaires aux travaux agricoles. Ces maisons rustiques sont habitées par des citoyens qui vont y résider chacun à leur tour. Une famille qui a son domicile à la campagne doit être composée d'au moins quarante personnes, tant hommes que femmes, et deux esclaves. Un vieillard et une matrone (mère de famille) sont à la tête de la maison et la gouvernent. Il y a, pour trois cents de ces maisons, un inspecteur général qui est chargé de leur direction. Des quarante personnes qui composent chaque groupe familial, vingt retournent tous les ans à la ville, après avoir fini leur apprentissage d'agriculture, qui est de deux ans; la ville en renvoie un pareil nombre à leur place. Ces nouveaux venus sont instruits par ceux qui, ayant déjà l'expérience d'une année, sont en état de former des élèves; l'année suivante ces derniers enseignent l'agriculture aux novices qui leur arrivent. On prend ces sages précautions pour prévenir la cherté des grains, que ne manquerait pas d'occasionner l'impéritie des laboureurs, s'ils arrivaient tous aux champs sans avoir la connaissance du mode de culture. Le législateur n'établit cette émigration annuelle des habitants de la ville à la campagne et de la campagne à la ville que pour prévenir les dégoûts et l'ennui qu'éprouveraient à la fin des citoyens obligés de se livrer toute leur vie à des travaux fatigants, pour lesquels ils pourraient avoir d'ailleurs une répugnance naturelle. Nombre de ces colons, qui font leurs délices de l'agriculture et qui se trouvent bien à la campagne, obtiennent facilement d'y rester tout le temps qu'il leur plaît. Leur emploi journalier est de mettre la terre en valeur, de pourvoir également à la multiplication et à la conservation du gros et menu bétail, de faire des coupes de bois réglées et d'en approvisionner les villes en le charriant ou le voiturant à leur plus grande commodité, soit par mer, soit par terre. Ce que j'ai le plus admiré chez eux, c'est l'art surprenant qu'ils ont pour faire éclore une prodigieuse quantité de poulets. Comme leurs poules ne couvent point, ils disposent un grand nombre d'oeufs en certain lieu, où ils entretiennent une chaleur douce et égale. Dès que ces poussins sortent de leur coque, des valets de ferme, uniquement destinés à cet office, en prennent tous les soins nécessaires et les élèvent. Ils sont tellement habitués à ce métier qu'ils distinguent parfaitement entre eux tous ces petits animaux. Les Utopiens nourrissent très peu de chevaux; ceux qu'ils ont sont des plus fougueux, ils ne les conservent que pour exercer leur jeunesse et lui apprendre à les dompter. On ne se sert que de boeufs, tant pour le labour que pour les charrois. Ils conviennent que cet animal, par sa lenteur, est bien inférieur au cheval, toujours vif, toujours impatient de marcher; mais ils trouvent au boeuf plus de docilité, il a aussi plus de force et de nerfs, il supporte plus longtemps la fatigue, et la principale raison qui les détermine à n'employer que lui, c’est qu'il n'est sujet à aucune de ces maladies qui mettent si souvent les chevaux hors d'état de rendre des services. Une autre considération, appuyée sur leurs principes économiques, c'est que le boeuf coûte beaucoup moins à nourrir que le cheval, et que lorsqu'il cesse d'être propre au travail il n'en est pas moins utile à l'homme, puisqu'il devient alors un de ses premiers aliments. Ils ne sèment guère d'autre grain que du blé; leur boisson est composée de vin, de cidre, de poire et d'une liqueur faite avec du miel et de la réglisse, qui abondent dans le pays; souvent ils ne boivent que de l'eau pure. Quoiqu'ils sachent précisément, car ils excellent dans ce genre de supputation, la quantité de toutes les denrées qui se consomment annuellement dans la ville et aux champs, ils ne laissent pas de semer au delà de ce qu'exigent leurs propres besoins et de nourrir plus de bétail qu'il ne leur en faut pour leur usage; ils font part du superflu à leurs voisins. Ils tirent de la ville tout ce qu'on ne trouve pas à la campagne et ne sont pas obligés de payer ou de rien donner en échangé pour l'avoir. Le magistrat auquel ils s'adressent se fait un plaisir de leur donner gratis tout ce dont ils ont besoin. La plupart des cultivateurs se rendent à la ville tous les mois pour y célébrer un certain jour de fête. Au temps de la moisson, les inspecteurs généraux du labourage font savoir aux magistrats de la ville le nombre d'ouvriers qu'il est à propos de leur envoyer, et ils l'obtiennent sur-le-champ. Dès qu'ils sont arrivés on commence la récolte, qui peut aisément se faire en un seul jour, si le temps est favorable. THOMAS MORE, Voyage à l'Ile d'Utopie, trad. T. Rousseau, Paris, Ch. Delagrave, 1888 Notes 1. Abraxa ou Abraxas, vieux mot cabalistique, nom du Dieu suprême selon les Basilidiens, hérétiques du onzième siècle. Ce mot renfermait, disait-on, de grands mystères et avait autant de vertus qu'il y a de jours dans l'année, parce que les sept lettres qui le composent forment en grec le nombre de 305. On donnait ce nom à des espèces de talismans en pierres taillées ou chargées de caractères hiéroglyphiques. 2. Du grec amauros, obscur: la ville sans renommée
Sources :
http://blog.crdp-versailles.fr/lelu/public/utopie/docsintroutopie.pdf
Voltaire, Candide ou l’optimisme (1759) extrait du chapitre XVII
Arrivée de Candide et de son valet au pays d’Eldorado, et ce qu’ils y virent Ils voguèrent quelques lieues entre des bords tantôt fleuris, tantôt arides, tantôt unis, tantôt escarpés. La rivière s'élargissait toujours; enfin elle se perdait sous une voûte de rochers épouvantables qui s'élevaient jusqu'au ciel. Les deux voyageurs eurent la hardiesse de s'abandonner aux flots sous cette voûte. Le fleuve, resserré en cet endroit, les porta avec une rapidité et un bruit horribles. Au bout de vingt-quatre heures ils revirent le jour; mais 5 leur canot se fracassa contre les écueils; il fallut se traîner de rocher en rocher pendant une lieue entière; enfin ils découvrirent un horizon immense, bordé de montagnes inaccessibles. Le pays était cultivé pour le plaisir comme pour le besoin; partout l'utile était agréable. Les chemins étaient couverts ou plutôt ornés de voitures d'une forme et d'une matière brillante, portant des hommes et des femmes d'une beauté singulière, traînés rapidement par de gros moutons rouges qui surpassaient en vitesse les plus beaux chevaux d'Andalousie, de Tétuan et de Méquinez. 10 "Voilà pourtant, dit Candide, un pays qui vaut mieux que la Westphalie." Il mit pied à terre avec Cacambo auprès du premier village qu'il rencontra. Quelques enfants du village, couverts de brocarts d'or tout déchirés, jouaient au palet à l'entrée du bourg; nos deux hommes de l'autre monde s'amusèrent à les regarder: leurs palets étaient d'assez larges pièces rondes, jaunes, rouges, vertes, qui jetaient un éclat singulier. Il prit envie aux voyageurs d'en ramasser quelques-uns; c'était de l'or, c'était des émeraudes, des rubis, dont le moindre aurait été le 15 plus grand ornement du trône du Mogol.
Arrivée de Candide et de son valet au pays d’Eldorado, et ce qu’ils y virent
Ils voguèrent quelques lieues entre des bords tantôt fleuris, tantôt arides, tantôt unis, tantôt escarpés. La rivière s'élargissait toujours; enfin elle se perdait sous une voûte de rochers épouvantables qui s'élevaient jusqu'au ciel. Les deux voyageurs eurent la hardiesse de s'abandonner aux flots sous cette voûte. Le fleuve, resserré en cet endroit, les porta avec une rapidité et un bruit horribles. Au bout de vingt-quatre heures ils revirent le jour; mais 5 leur canot se fracassa contre les écueils; il fallut se traîner de rocher en rocher pendant une lieue entière; enfin ils découvrirent un horizon immense, bordé de montagnes inaccessibles. Le pays était cultivé pour le plaisir comme pour le besoin; partout l'utile était agréable. Les chemins étaient couverts ou plutôt ornés de voitures d'une forme et d'une matière brillante, portant des hommes et des femmes d'une beauté singulière, traînés rapidement par de gros moutons rouges qui surpassaient en vitesse les plus beaux chevaux d'Andalousie, de Tétuan et de Méquinez. 10 "Voilà pourtant, dit Candide, un pays qui vaut mieux que la Westphalie." Il mit pied à terre avec Cacambo auprès du premier village qu'il rencontra. Quelques enfants du village, couverts de brocarts d'or tout déchirés, jouaient au palet à l'entrée du bourg; nos deux hommes de l'autre monde s'amusèrent à les regarder: leurs palets étaient d'assez larges pièces rondes, jaunes, rouges, vertes, qui jetaient un éclat singulier. Il prit envie aux voyageurs d'en ramasser quelques-uns; c'était de l'or, c'était des émeraudes, des rubis, dont le moindre aurait été le 15 plus grand ornement du trône du Mogol.
Définition de l'utopie
La poursuite d'une chimère Dans le langage courant actuel, "utopique" veut dire impossible ; une utopie est une chimère, une construction purement imaginaire dont la réalisation est, a priori, hors de notre portée. Or, paradoxalement, les auteurs qui ont créé le mot, puis illustré le genre littéraire inventé par Thomas More en 1516, avaient plutôt pour ambition d'élargir le champ du possible, et d'abord de l'explorer. Certes, l'utopie se caractérise par un recours à la fiction, par un artifice littéraire qui consiste à décrire une société idéale dans une géographie imaginaire, souvent dans le cadre d'un récit de voyage purement romanesque. Mais imaginaire ou fictif ne veut pas dire impossible : tout rêve n'est pas chimère. Les utopies relevant de la littérature politique, du XVIe au XVIIIe siècle, participent d'une critique de l'ordre existant et d'une volonté de le réformer en profondeur ; le recours à la fiction est un procédé qui permet de prendre ses distances par rapport au présent pour mieux le relativiser et de décrire, d'une manière aussi concrète que possible, ce qui pourrait être. Et l'épanouissement du genre utopique correspond à une période où l'on pense, justement, que, plutôt que d'attendre un monde meilleur dans un au-delà providentiel, les hommes devraient construire autrement leurs formes d'organisation politique et sociale pour venir à bout des vices, des guerres et des misères. En ce sens, les descriptions qu'ils proposent, dans lesquelles ils font voir des cités heureuses bien gouvernées, visent à convaincre leurs lecteurs que d'autres modes de vie sont possibles.
Un effort d'imagination pour explorer le possible Peu à peu, en particulier lorsque l'idée de progrès devient un principe de compréhension de l'histoire humaine, la notion d'utopie apparaît, non plus comme le résultat volontariste de la décision de réformateurs soucieux du bien humain, mais comme ce vers quoi tend le processus historique. C'est, au XIXe siècle, le temps des philosophies de l'histoire. Pour certains, l'utopie est l'horizon de l'Histoire, et il convient d'accélérer le processus pour se rapprocher du règne de la liberté. D'une certaine façon, la promesse de l'histoire rejoint, mais sous une forme sécularisée, l'attente eschatologique des anciennes Apocalypses : la nouvelle Jérusalem viendra, mais cette fois elle ne descendra pas du ciel, elle sera bâtie sur terre, de main humaine, dans un avenir radieux. De nombreux mouvements sociaux, en particulier dans les périodes des grands ébranlements révolutionnaires, sont portés par cette espérance, même si le siècle qui vient de s'achever nous apprend qu'il n'y a pas de fatalité historique, que l'utopie peut se retourner en son contraire, et le rêve tourner au cauchemar l'utopie, c'est lui redonner sa signification première, celle d'un heureux effort de l'imagination pour explorer et représenter le possible.
Du nom propre au nom commun Thomas More invente le mot latin : Utopia, construit à partir du grec ou, "non, ne … pas", et de topos, "région, lieu", est le nom d'une île située "en aucun lieu". Cette négation est ambiguë. Faut-il entendre que cette île, dont le gouvernement idéal règne sur un peuple heureux, est imaginaire, inédite, ou encore impossible ? Comment comprendre le fait qu'elle est en même temps localisée, puisque située par More quelque part aux confins du Nouveau Monde ? Et, puisque l'ouvrage de l'humaniste anglais est destiné à faire pendant à l'Éloge de la folie d'Érasme, ne s'agit-il pas simplement de cet exercice rhétorique humaniste où l'on feint un monde inversé pour mieux montrer que le plus raisonnable n'est pas celui qu'on croit ? Bientôt, le genre littéraire inauguré par More se diversifiera et l'on verra apparaître des eutopies (du grec eu, "bien"), des dystopies (du grec dus, exprimant une idée de difficulté, de trouble), des utopies satiriques ou critiques, des anti-utopies, des contre-utopies… La forme francisée "utopie" est attestée chez Rabelais (1532) et, sur le modèle de l'anglais utopia, le mot devient nom commun en intégrant le vocabulaire politique du XVIIIe siècle ; il désigne alors le plan d'un gouvernement imaginaire, à l'image de la république de Platon. Ce n'est qu'au milieu du XIXe siècle que le sens courant actuel s'impose et que l'utopie en vient à désigner un projet politique ou social qui ne tient pas compte de la réalité. Pour quelques-uns, que justement la "réalité" n'enthousiasme guère, il s'agit là d'une qualité essentielle ; plus généralement, un glissement s'opère, faisant de l'utopie un projet irréalisable, voire irréaliste. En témoignent les renvois synonymiques donnés par le Petit Robert à l'article "utopie" : chimère, illusion, mirage, rêve, rêverie…
http://expositions.bnf.fr/utopie/arret/d0/index.htm
Les sources de l'utopie
En toute rigueur, l’histoire de l’utopie ne commence qu’au début du XVIe siècle puisque c’est en 1516 que Thomas More fait paraître son “court traité sur la meilleure forme de gouvernement”, qu’il situe sur une “île nouvelle, appelée Utopie”. Avec ce texte, le grand humaniste anglais invente le mot et, du même coup, fonde un genre littéraire. Mais le concept est plus ancien que le mot et puise à des racines très profondes. L’utopie hérite en effet de certains motifs de la mythologie antique, de la philosophie grecque ou de la doctrine chrétienne qui remplissent à son égard une fonction de source ou de matrice. L’homme, face à sa condition sur terre, s’est toujours plu à imaginer des mondes meilleurs : dans un lointain passé, un lointain avenir ou un ailleurs plus ou moins accessible. Qu’il s’agisse de l’âge d’or, du pays de cocagne, de la “cité idéale” élaborée par Platon dans La République, du paradis terrestre ou des prédictions millénaristes, la démarche utopique renoue avec ces traditions tout en s’en démarquant profondément. Mais si l’utopie proprement dite naît à la Renaissance, c’est parce qu’elle traduit une manière de penser caractéristique de l’humanisme : chez More comme chez la plupart de ses successeurs, la société idéale peut être une construction humaine, sans qu’il faille compter sur la Providence divine ou sur un changement surnaturel. C’est sur terre que l’utopie peut être envisagée, en prenant les hommes comme ils sont.
http://expositions.bnf.fr/utopie/arret/d1/index.htm
Ce que décrit Thomas More, c’est une société idéale réalisée par des moyens humains : les maux et les vices sont extirpés parce que “la meilleure forme de gouvernement” a été instituée ici-bas, c’est-à-dire en prenant la condition humaine telle qu’elle est. À la différence des rêves millénaristes et des promesses eschatologiques, ici nulle Providence divine n’est requise. À la différence des Âges d’or et des pays de cocagne, la nature n’a pas, en Utopie, cette générosité surnaturelle qui dispense les hommes de la peine. À la différence des races d’or et des héros, les Utopiens sont des hommes, avec les défauts et les qualités de leur finitude. Le jeu de More consiste à montrer que l’autre monde est de ce monde ; de là tous les paradoxes et toutes les ruses de cette utopie raisonnable, de cette fiction réaliste, de cette sérieuse fantaisie. Mais de là aussi qu’avec lui s’inaugure un des motifs essentiels de la modernité, du courage ou de la témérité modernes, fondé sur ce que le siècle des Lumières appellera la perfectibilité humaine.
- Eh bien, cher Raphaël, dis-je, décrivez-nous cette île, nous vous en prions instamment. Donnez-nous un tableau complet des cultures, des fleuves, des villes, des hommes, des mœurs, des institutions et des lois, enfin de tout ce qu’à votre avis nous désirons connaître. - Il n’est rien que je fasse plus volontiers, car tout cela m’est présent à l’esprit. Mais il nous faudra du loisir. - Entrons, dis-je, et mangeons, puis nous prendrons le temps qu’il faudra. - Très bien, dit-il. Nous prîmes notre repas, puis nous revînmes nous asseoir au même endroit, sur le même banc. Raphaël resta un instant silencieux à réfléchir, puis, nous voyant attentifs et avides de l’entendre, il dit ce qui suit. Thomas More, Utopie, livre premier.
http://expositions.bnf.fr/utopie/arret/d2/index.htm
Thomas More Utopia, 1516
En publiant à Louvain, en 1516, un petit livre intitulé Utopie, traité sur la meilleure forme de république et sur une île nouvelle, Thomas More, haut dignitaire de la cour d’Angleterre, fonde un genre nouveau, au croisement de la littérature, de la politique et de la philosophie. Ce faisant, il donne une forme durable à un motif essentiel de la modernité. L’ouvrage se présente comme un dialogue, dont le personnage principal est un voyageur fictif, un compagnon d’Amerigo Vespucci qui aurait poursuivi l’exploration des îles du Nouveau Monde. Au livre premier, il développe une critique sévère de l’Angleterre de l’époque. En contrepoint, au livre II, il décrit les institutions, le mode de vie et l’histoire des habitants heureux de l’île d’Utopie. La nouveauté de l’ouvrage tient à ce que cette société idéale est, ici-bas, l’œuvre des hommes eux-mêmes : l’environnement naturel n’est pas idéalisé, comme dans les légendes de l’âge d’or ou des pays de cocagne ; les Utopiens sont des hommes comme les autres, marqués par la Chute et le péché ; ils n’ont bénéficié d’aucune grâce divine particulière. S’ils sont parvenus à chasser les maux et les vices, c’est simplement en construisant une autre organisation sociale
http://expositions.bnf.fr/utopie/arret/d2/index.htm _________________ Professeur de français, lycée
Intervenant, professeur de français
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